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Michel Gurfinkiel.
Le magazine américain Time consacre traditionnellement sa couverture, fin décembre à « l’homme de l’année ». Nicolas Sarkozy avait ses chances pour 2007. Finalement, c’est Vladimir Poutine qui obtient cet honneur. D’une certaine manière, le président français a lui-même contribué à la décision finale, en félicitant vivement son homologue russe, voici trois semaines, de la victoire de son parti aux élections législatives…
Time n’y va pas par quatre chemins. Ce n’est pas un Poutine souriant, convenu, qui orne sa une, mais un visage anguleux, fermé, chafouin, d’une pâleur de cire, aux mâchoires dures. Le masque même de la tyrannie.
Issu du KGB, Poutine a été installé au pouvoir suprême en 1999 par son prédécesseur Boris Eltsine. On sait dans quel contexte. Le post-communisme avait tourné au chaos. Eltsine, cardiaque, ivrogne, entouré d’hommes d’affaires avides et de favoris stupides, risquait, dès le moment où il quittait la fonction présidentielle, un procès, la prison et peut-être la corde. La seule solution était de se choisir un héritier sans état d’âmes, qui sache à la fois restaurer l’Etat – la peur de l’Etat - et accorder l’immunité à son parrain. Poutine était cet homme. Il a rempli scrupuleusement sa mission. Une guerre en Tchétchénie – bombardements, massacres, viols - lui a donné la stature d’un Vojd, d’un chef. L’Etat russe a été restauré, sous sa forme traditionnelle, la monarchie absolue d’Ivan le Terrible, Pierre le Grand, Catherine II, Nicolas Ier, Staline. Le pauvre Eltsine est allé couver sa vodka ; sa famille a ramassé ses frusques Prada et Versace, et décampé.
Au début de son règne, Poutine cajolait l’Amérique et l’Occident. On parlait de la « grande alliance » : l’union des peuples blancs, de souche européenne et de culture judéo-chrétienne, Amérique, Europe, Russie, contre le reste du monde, et spécifiquement contre l’islam djihadiste. Mais l’année 2003 l’a fait réfléchir. La « vieille Europe », sous la houlette de l’inénarrable Jacques Chirac, trahissait l’Amérique à la veille de la seconde guerre d’Irak. Tant et si bien que cette guerre ne fut pas ce qu’elle aurait du être. Image numéro un : la statue de Saddam Hussein à Bagdad, cravatée d’un drapeau américain, est renversée. Images numéro deux : les Américains s’excusent. Ils le font parce qu’entre temps, le Département d’Etat et les autres eunuques professionnels qui hantent Washington, DC, sans parler des antisémites invétérés style James Baker et Jimmy Carter, ou des Juifs honteux (mânes de Marcel Proust, volez à mon secours) ont hululé et intimidé les Américains entiers, les Gentils qui ont leur part dans le Monde Qui Vient et les Juifs virils. L’Amérique n’a plus osé écraser l’infâme. Dont acte. Poutine, le robot, sait faire la somme et le compte. L’Amérique et l’Occident – out. La voie est libre pour le tsar.
Le tsar a gagné les élections législatives. Simple. Il suffit de mettre en prison, à la veille du scrutin, les candidats de l’opposition. De casser les reins et « d’exploser le foie » - je parle jeune – à leurs colleurs d’affiche. Son premier ministre deviendra président. Il deviendra premier ministre. Personne en Russie ne s’y trompera.
Mais soyons justes. Poutine n’est qu’un tyran parmi d’autres. Le vrai problème, c’est que les tyrans en général aient le vent en poupe. Entre nous, Sarkozy à la une de Time, j’aurais vraiment préféré.
© Michel Gurfinkiel, 2007