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Michel Gurfinkiel.
C’est un article de David Makovsky publié le 6 mai sur le site de la prestigieuse revue américaine Foreign Affairs qui a précipité la crise gouvernementale israélienne, le départ du ministre de la Défense, Moshé Yaalon, et son remplacement par Avigdor Liebermann.
Dans cet article, intitulé Les Forces de défense israéliennes comblent le vide (The Israeli Defense Forces Fill the Void), Makovsky affirmait que les militaires israéliens entendaient jouer leur propre rôle dans le processus de paix avec les Israéliens, compte tenu d’une « impasse diplomatique » implicitement attribuée au gouvernement dirigé par Benjamin Nethanyahu. Selon lui, c’est ainsi qu’il fallait entendre les initiatives et les déclarations de plus en plus « modérées » de Yaalon et de divers chefs militaires au cours des derniers mois.
Makovsky est un journaliste israélo-américain chevronné, qui a joué de temps à autre un rôle politique entre les deux pays. Il y a donc lieu de penser que ses propos reflètent réellement la « doctrine » de Yaalon et d’autres chefs militaires. Or une telle doctrine est inacceptable dans un régime démocratique, où l’armée obéit au pouvoir civil élu, et ne peut en aucun cas mener sa propre politique ou sa propre « diplomatie ».
Circonstance aggravante, Makovsky emploie, pour justifier le « rôle diplomatique » actuel de l’armée israélienne, les arguments classiques de toutes les dictatures militaires : l’armée incarnerait mieux la nation que les politiciens. Le journaliste écrit en effet : « Les Forces de défense d’Israël (FDI) ont assumé de plus en plus nettement un rôle de gardien des valeurs démocratiques et de stabilisateur dans l’arène diplomatique israélo-palestinienne. En tant qu’armée de citoyens, les FDI ont toujours considéré qu’elles se situaient au-dessus de la mêlée politique, et qu’elles étaient capables de gérer les intérêts stratégiques de l’Etat sans s’enliser dans des considérations politiciennes ».
Cet état d’esprit est très répandu dans les élites israéliennes de gauche, qui se sont longtemps comportées en « propriétaires » du pays et qui ont longtemps fourni à l’armée la plupart de ses officiers supérieurs. Il sous-tend l’idéologie de Shalom Akhshav (La Paix Maintenant), dont le principal théoricien, dans les années 1970, avait été un général à la retraite, Yehoshafat Harkabi.
Mais pourquoi Moshé Yaalon, membre du parti conservateur Likoud comme Nethanyahu, s’est-il rallié à un tel point de vue ? Son attitude pourrait s’expliquer par la publication prochaine d’un rapport du Contrôleur de l’Etat sur la gestion de la deuxième guerre de Gaza, en 2014, qui serait accablant pour chefs militaires et pour Yaalon lui-même.
« Si tu tombes, arrange toi pour tomber à gauche » : tous les politiciens connaissent ce précepte. Même quand ce sont d’anciens militaires.
© Michel Gurfinkiel, 2016