Michel Gurfinkiel

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Michel Gurfinkiel

Jerusalem/ Une capitale cartes sur table

Israël reconstruit Jérusalem depuis près de cinquante ans. Voici son schéma directeur.

Benjamin Nethanyahu complètera-t-il la « couronne de Jérusalem » ? Le 3 décembre dernier, le premier ministre israélien a annoncé que trois mille nouvelles unités d’habitation seraient construites dans la zone E1, à proximité de la cité-satellite de Maaleh Adoumim. C’est à dire à « Jérusalem-Est » : l’ancien secteur arabe de la Ville sainte, administré par la Jordanie entre 1948 et 1967.

 

Il y a, dans cette décision, une part de politique à court ou moyen terme : Netanyahu a voulu rappeler – quatre jours après l’admission de la Palestine à l’Onu en tant qu’« Etat non-membre » , le 29 novembre – qu’Israël n’accepterait aucun « diktat » international. Ni sur Jérusalem, ni sur d’autres questions. Mais il y a aussi une part de politique à long terme : de géopolitique. « Nous construisons et continuerons à construire en fonction de nos intérêts vitaux », a précisé le premier ministre. Notamment à Jérusalem.

 

Cela fait près de cinquante qu’Israël rebâtit la Ville sainte. Pendant dix-neuf ans, de 1948 à 1967, celle-ci avait été partagée en deux : l’Ouest israélien, l’Est jordanien. Ou même en trois, si l’on tient compte des nombreux « no man’s lands » qui séparaient les deux secteurs. Mais la Guerre des Six Jours, en juin 1967, a soudain placé l’ensemble de l’agglomération sous contrôle israélien. Un nouveau partage était « inconcevable ». Le plus sûr était cependant de le rendre matériellement impossible. De grands chantiers ont été lancés. Les gouvernements successifs, de gauche ou de droite, les ont poursuivi sans relâche. Aujourd’hui, il ne reste plus qu’à consolider quelques maillons.

 

Pourquoi cette passion ? D’abord, bien entendu, Jérusalem est la ville sainte du judaïsme. Il suffit, pour s’en convaincre, de lire la Bible : non seulement les livres historiques ou rituels, mais aussi les prophéties. Ou de se familiariser avec la tradition rabbinique. Les juifs se tournent vers Jérusalem pour prier. Ils mentionnent Jérusalem dans chacune de leurs prières. L’ère messianique, selon eux, commence à Jérusalem. Elle s’y épanouit. C’est par Jérusalem seulement que le destin juif, souvent tragique, trouve un sens.

 

Ensuite, fait méconnu mais essentiel, Jérusalem est redevenue une ville à majorité juive voici près de deux cents ans. Majorité relative en 1845 : 45 % de juifs contre 30 % de musulmans et 25 % de chrétiens. Majorité absolue en 1868 : 55 % de juifs, 23 % de chrétiens, 22 % de musulmans. Majorité des deux tiers, enfin, à partir de 1912 : les musulmans supplantant peu à peu les chrétiens, tout au long du XXe siècle, au sein du troisième tiers.

 

Le caractère juif de la Jérusalem moderne avait conduit paradoxalement, dans le cadre de la partition de la Palestine préconisée par l’Onu en 1947, au projet d’un « Corpus Separatum » englobant la Ville sainte et sa périphérie. Officiellement, cette entité – sous contrôle international – devait assurer pendant dix ans au moins la protection des Lieux saints de toutes les religions. Mais le motif réel des experts de l’Onu était d’empêcher le rattachement de Jérusalem à l’Etat juif, centré sur Tel-Aviv. L’invasion arabe de 1948 a frappé le plan de partage de nullité, et le Corpus avec lui. Même si l’idée d’une « internationalisation de Jérusalem » continue à circuler dans certaines chancelleries, et tout particulièrement au Quai d’Orsay.

 

Enfin, Jérusalem est la clé stratégique du pays. Elle se situe à l’intersection de l’axe horizontal Méditerranée-Jourdain, d’ouest en est, et de l’axe vertical Galilée-Mer Rouge, du nord au sud. Entre les mains d’Israël, elle garantit la sécurité de la plaine côtière et de Tel-Aviv, la capitale économique, mais aussi celle de la Galilée et du Neguev. Entre les mains d’une puissance arabe hostile, ce serait l’inverse. Mais pour jouer efficacement son rôle stratégique, une Jérusalem israélienne doit contrôler ses alentours : alors qu’un retour à la ligne de 1949-1967 – la « ligne verte » – équivaudrait à un encerclement sur trois côtés, nord, est, sud.

 

Le plan directeur de Jérusalem adopté par les Israéliens en 1967 prévoyait dans un premier temps de réunifier la ville, c’est à dire d’abattre toutes les barrières – fortifications, fils barbelés – qui séparaient les secteurs définis en 1949. Puis, dans un second temps, de créer une couronne de nouveaux quartiers juifs, en prolongement de quartiers existants : Ramoth, Ramath-Eshkol et Neveh-Yaakov au nord, Armon Hanetziv à l’est, Guilo au sud.

 

L’opération a été menée à bien en moins de dix ans. En règle générale, ces nouvelles zones urbaines ont été bâties sur les anciens no man’s lands ou dans des secteurs déserts, propriété de l’Etat. Pour donner une assise juridique à ces modifications, les Israéliens ont créé une municipalité unique englobant l’ancienne municipalité d’avant 1948 et quelques villages avoisinants. Un corridor, vers le nord, remonte jusqu’à Ataroth, près de Ramallah, où un aéroport a été construit.

 

Mais à partir de 1977, Israël entreprend de créer une seconde couronne de villes satellites : en dehors de la municipalité de Jérusalem. Cette fois, l’objectif est de contourner des localités arabes et de relier le Grand Jérusalem aux routes et avant-postes « neutralisant », sur le plan sécuritaire, la Cisjordanie. Pisgath Zeev, créé en 1982, renforce l’emprise israélienne sur la banlieue nord. Maaleh Adoumim, à sept kilomètres à l’est de Jérusalem, contrôle depuis 1991 la route de Jéricho et de la Mer Morte. Har Homah, au sud-est, créé en 1997, surveille à la fois Bethléem et la route de Hébron. Quant à la zone E1, elle doit relier Maaleh Adoumim à Neveh-Yaakov.

 

A cet ensemble s’ajoute le Gush-Etzion (« Bloc d’Etzion »), au sud-ouest de Jérusalem. Son histoire est quelque peu différente. A l’origine, il ne fait pas partie du schéma directeur, mais regroupe quelques localités prises et détruites par les Jordaniens en 1948. Les enfants des premiers habitants s’y réinstallent dès 1967. La valeur stratégique du site n’apparaît qu’à partir des années 1980 : une ville satellite, Beitar Illith, est créée en 1984.

 

La seconde couronne s’interrompt dans un secteur assez étendu, entre Maaleh Adoumim et Har Homah : la localité arabe d’Abou Dis. Israël a proposé à plusieurs reprises à l’Autorité palestinienne d’y installer sa capitale. Ce qui lui permettrait d’affirmer qu’elle contrôle la Jérusalem arabe.

 

La mise en place du Grand Jérusalem a suscité bien des critiques. Les « majorités automatiques » de l’Onu (pays musulmans, nations communistes puis post-communistes, nationalistes du tiers-monde) ont sans cesse condamné la « judaïsation » de la Ville sainte, ce qui peut prêter à sourire. Plus sérieux est le grief désormais soutenu par la plus grande partie des pays occidentaux : tout ce qu’Israël a construit depuis 1967 serait « illégal » puisque réalisé dans un « territoire occupé ». C’est au nom de ce principe que l’Union européenne a condamné les déclarations de Netanyahu sur la zone E1. Et que certains de ses membres ont envisagé de prendre des sanctions contre Israël, notamment en refusant l’importation de toute production industrielle ou agricole provenant de « Palestine occupée ».

 

Mais l’ « illégalité » pourrait être le fait de l’Union européenne. Quand elle était en vigueur, de 1949 à 1967, la « ligne verte » (démarcation israélo-jordanienne) n’était qu’une ligne de cessez-le-feu. Depuis qu’Israël contrôle l’ensemble de la ville, en vertu d’un nouveau cessez-le-feu mettant fin à la guerre des Six Jours, la plupart des chancelleries veulent y voir une « frontière internationale ». Sans expliquer comment elles en arrivent à une telle conclusion. En outre, elles se refusent à rattacher de plein droit à Israël l’ancien secteur israélien d’avant 1967, « Jérusalem-Ouest ». Et maintiennent leurs ambassades à Tel-Aviv. La contradiction est flagrante. Si la ligne verte est une frontière internationale, Jérusalem-Ouest est Israël.

 

L’ultime argument d’Israël sur Jérusalem, c’est que son administration a été peu à peu acceptée par la population locale arabe. Un sondage réalisé en 2011 par un institut palestinien, le Palestinian Center for Public Opinion (PCPO), révélait que 30 % seulement des habitants arabes de Jérusalem souhaitaient être rattachés à un Etat arabe de Palestine. 86 % d’entre eux redoutaient, dans cette hypothèse, « un niveau plus élevé de corruption », et 74 % « la perte de leur liberté d’information et d’opinion ».

 

Certains dirigeants arabes le savent. Le 23 novembre, l’émir du Qatar, s’est rendu à Gaza. Selon diverses sources arabes, il aurait demandé au Hamas de faire la paix avec Israël : « Dans ce cas, je vous aiderai à transformer Gaza en un Singapour du Moyen-Orient ». Selon le journal chiite libanais Al-Manar, proche du Hezbollah pro-iranien, il aurait même conseillé aux Palestiniens d’abandonner leurs revendications sur Jérusalem : « Nous devons construire notre avenir sur ce qui existe ».

 

© Michel Gurfinkiel & Valeurs Actuelles, 2012

 

 

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