Michel Gurfinkiel

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Ajustements optiques

Pour mieux comprendre l'islam.

« Comprendre l’islam » : pour la France actuelle – frappée au plexus par les massacres jihadistes de janvier 2015 -, c’est une priorité. L’histoire de l’islam est appelée une matière « obligatoire » dans l’enseignement secondaire, selon le projet de réforme des collèges présenté par Najat Vallaud-Belkacem (alors de l’histoire du christianisme médiéval ne sera plus que « facultative »). Le CNRS « mobilise » ses chercheurs sur l’anthropologie, la sociologie, l’histoire et la philosophie de l’islam. Et le ministère de l’Intérieur, de manière à peine plus discrète, encourage les communautés religieuses à « dialoguer » entre elles afin de mieux se connaître.

 

On ne saurait blâmer ces efforts. Il faut en effet « comprendre l’islam » pour faire face au phénomène jihadiste, et pour débattre de l’impact de cette religion sur la société, la culture et la politique du XXIe siècle, tant en France que dans le reste de l’Europe.

 

Mais les Français et les Européens non-musulmans ne peuvent étudier l’islam et a fortiori saisir son fonctionnement qu’au prix d’importants « ajustements optiques ». En voici quelques-uns :

 

1. Le meilleur moyen de comprendre une religion n’est pas de lire ses textes fondateurs, ni d’interroger ceux qui la gèrent. Ces démarches sont utiles : mais insuffisantes. Quelle que soit la religion, il y a en effet une différence (et parfois un abîme) entre les textes fondateurs et la théologie qui en procède ; puis une autre différence (ou un autre abîme) entre cette théologie et la pratique qui en est déduite ; et enfin une troisième différence (et souvent un troisième abîme) entre la pratique normative, élaborée par le clergé ou les docteurs, et la pratique réelle des adeptes. Ce que dit Jésus dans les Evangiles est une chose, le mode de vie que préconisent officiellement les Eglises chrétiennes en est une autre, et le mode de vie réel des populations se réclamant du christianisme en est une troisième. Cela vaut, mutatis mutandis, pour le judaïsme, le bouddhisme, l’hindouisme, et ainsi de suite – sans excepter l’islam.

 

2. Chaque religion place son « sacré », son « absolu », dans un lieu particulier ou une dimension particulière. Pour les chrétiens, c'est la Personne du Christ. Pour les juifs, l'Alliance – le mariage – entre Dieu et Son peuple, et les « mitzvoth », le maillage des « commandements », qui en sont la manifestation tangible. Pour les musulmans, c'est le politique. Certes, toute religion est confrontée au politique, et la plupart d’entre elles entrent dans des jeux de pouvoir et de domination. Mais pour l’islam, la politique n’est pas contingente, mais essentielle : l’islam ne se conçoit pas comme une « religion » au sens habituel du terme (un ensemble de croyances et de rites), mais comme un système politique et juridique parfait ordonné par Dieu.

 

3. Certaines civilisations fondent leur éthique sur la bipolarité innocence/culpabilité. D’autres sur une bipolarité fierté/honte. Il va de soi que ces deux types de civilisation ne peuvent coexister aisément. Les sociétés judéo-chrétiennes ou post-judéo-chrétiennnes appartiennent à la première catégorie. Les sociétés musulmanes, telles qu’elles fonctionnent réellement, appartiennent à la seconde. C’est ce qu’elles entendent par « respect » en français ou « pride » en anglais.

 

4. L'islam n'est pas par rapport aux juifs et aux chrétiens dans la même relation que les chrétiens par rapport aux juifs. Les chrétiens croient au Nouveau Testament, mais aussi à l'Ancien : ce qui autorise, dans des conditions optimales, un dialogue entre christianisme et judaïsme. Les musulmans ne croient qu'au Coran. Ils affirment que les textes juifs et chrétiens ont été « falsifiés » et que la véritable version des événements narrés par la Bible ne se trouve que dans le Saint Coran « incréé ». 

 

(Par parenthèse, c'est là la véritable et unique motivation du conflit dit « palestinien » : les juifs fondent leur droit à la Terre d'Israël sur la Bible ; reconnaître ce droit, c'est reconnaître la Bible ; or reconnaître la Bible, ce serait rejeter le Coran. Quand le président égyptien Anouar el-Sadate est venu à Jérusalem – accompagné par le plus haut dignitaire religieux musulman de son pays -, il a prié à la mosquée Al-Aqsa, lieu saint musulman, et il s'est rendu au Saint-Sépulcre, lieu saint chrétien, puisque le Coran reconnait le Masih (« Messie ») Jésus. Mais il n'est pas allé au Mur occidental du Temple, dit « des Lamentations », car c'eût été reconnaître le lien biblique entre les juifs et leur terre : il a préféré aller au Mémorial de l'Holocauste, Yad-Vashem. Sous-entendant que le maximum qu’il pouvait accorder aux Israéliens, c'était un statut de persécutés ayant trouvé refuge sous la « protection » de l’islam.)

 

5. L'islam se situe dans une sorte de présent absolu. Le Coran n'est pas une narration linéaire, chronologique, comme la Bible. Ses textes sont disposés dans l'ordre le plus arbitraire qui soit : de la sourate la plus longue à la plus courte. Cette achronie, renforcée par des particularités grammaticales de la langue arabe, se répercute à tous les niveaux de la doctrine et de la pratique. C'est pourquoi les musulmans entendent « vivre comme le Prophète et ses compagnons » : la seule différence, à cet égard, se situant entre les fondamentalistes (majoritaires) qui prennent le plus littéralement possible ce que l'on rapporte du Prophète et les libéraux (minoritaires) qui affirment que dans un contexte différent (celui de la civilisation du XXIe siècle, par exemple), le Prophète adopterait un comportement différent.

 

© Michel Gurfinkiel, 2015

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