Pourquoi Barack Hussein Obama, président de la plus grande démocratie laïque du monde, s’incline-t-il comme un serviteur devant Abdallah II, roi-théocrate d’Arabie ?
La scène a été filmée par toutes les télévisions, et diffusée dans le monde entier. Mais personne n’a voulu s’y attarder. Surtout pas en Occident. Cela se passe à Londres, le 2 avril, pendant le G20. Les chefs d’Etat et de gouvernement se saluent, se congratulent et s’embrassent. Barack Obama, le président américain, salue ses pairs avec sa bonne grâce habituelle. Mais quand il arrive devant le roi Abdallah II d’Arabie Saoudite, il ne se contente pas d’une poignée de main. Il s’incline profondément. Comme un sujet. Comme un vassal.
C’est Franklin Roosevelt qui, le 14 février 1945, a mis en place des relations spéciales entre les Etats-Unis et la monarchie wahhabite. Revenant de Yalta, en Crimée, où il venait de partager le monde avec le Soviétique Joseph Staline et le Britannique Winston Churchill, le président américain avait fait un détour par l’Egypte, en dépit d’un état de santé précaire (il allait mourir deux mois plus tard, presque jour pour jour), afin de rencontrer Abd al Aziz Ibn Saoud, le Bédouin du Nejd qui avait unifié la péninsule Arabique treize ans plus tôt. L’entrevue se déroula au milieu du canal de Suez, sur le Quincy, un bâtiment de l’U.S. Navy. Le roi accordait l’exclusivité de ses gisements de pétrole, dont on savait depuis peu qu’ils étaient les plus importants du monde, aux sociétés américaines. Le président promettait, en échange, de le protéger contre tous ses ennemis, à commencer par les autres pays arabes et musulmans – soutenus par l’Angleterre – , qui le considéraient comme un dangereux fanatique.
Au fil des années, à la faveur de la guerre froide puis des « chocs pétroliers » successifs, cet arrangement est devenu une sorte de symbiose, où l’Arabie Saoudite a joué un rôle de plus en plus dominant. L’appât du gain, sinon la corruption, explique en partie cette dérive. Les milieux pétroliers du Texas, confrontées à un épuisement lent, progressif , mais inéluctable, de leurs puits, ont réinvesti dans le pétrole saoudien, à tous les niveaux : de l’extraction à la commercialisation. Quand leurs partenaires arabes ont été vraiment très riches, dans les années 1970, ils les ont aidé à négocier leurs achats aux Etats-Unis et dans d’autres pays occidentaux : des BTP, marché formidable, aux importations d’armes, marché fabuleux. A chaque niveau ou étape, les commissions et les avantages occultes se sont évidemment ajoutés aux dividendes de bon aloi. Le moyen, dans de telles conditions, de ne pas créer des lobbies multiples et variés au service de Riyad, des fondations, des instituts universitaires, et d’intervenir sans cesse dans la politique ou la métapolitique américaine en faveur de l’islam en général et du wahhabisme en particulier.
Mais il y a aussi un aspect irrationnel, presque psychanalytique, dans cette relation. L’Amérique est une République démocratique, égalitaire et individualiste. Elle a toujours été fascinée par son contraire : l’Angleterre monarchique, hiérarchisée et soi-disant intellectuelle, la France étatiste et cynique, l’Allemagne impériale puis hitlérienne (sans l’attaque japonaise contre Peal Harbour et surtout la réaction infantile d’Hitler, qui déclara alors la guerre aux Etats-Unis par solidarité avec Tokyo, les Etats-Unis ne seraient jamais intervenus en Europe), la Russie de Staline et de ses épigones. L’Arabie et l’islam, selon un philosophe arabe anti-intégriste, Ibn Rawandi, seraient pour les Etats-Unis l’Autre absolu : réactionnaires, théocratiques, antiféministes, royalement analphabètes en matière de droits humains. How cute, how fascinating !
Quand Obama s’incline comme un esclave devant un souverain esclavagiste, il ne fait donc que reprendre une vieille tradition nationale américain. A moins qu’il ne soit pas celui qu’il prétend être. A moins que son middle name, son nom médian, Hussein, ne soit la clé de sa personnalité. Et qu’il ne faille voir en lui un musulman secret, contraint de feindre pour un temps une adhésion au christianisme. Un marrane, si vous voulez. Ou plus exactement, selon la terminogie hispanique qui fait foi en la matière, un melanchon.
© Michel Gurfinkiel, 2009