Michel Gurfinkiel

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Iran/ Ahmadinejad et son "faire-valoir"

Quand un quotidien français publie une interview qu’il décrit par ailleurs comme une manipulation…

Mardi dernier 5 février, dans son numéro daté du mercredi 6, le quotidien Le Monde publie une interview pleine page du président de la République islamique d’Iran, réalisée, à Téhéran, par Alain Frachon et Marie-Claude Descamps.

Ce texte est précédé par une assez longue introduction où les deux journalistes expliquent que leur hôte les a purement et simplement manipulés. Quand ils sont enfin introduits auprès du chef de l’Etat, après la longue attente de rigueur, ils constatent en effet qu’un « décor » a été mis en place : « Pourquoi ces caméras, pourquoi ces interprètes dans la pièce d’à côté, prêts à traduire les propos présidentiels dans l’oreillette des participants, sans même assister au débat ?… La réponse ne vient qu’après quelques minutes avant le début de l’entretien – faut-il dire du ‘show’ ? : tout a été prévu, en fait, pour la télévision iranienne. Et c’est aux Iraniens, en regardant la caméra, que le président s’adresse, plus qu’il ne répond aux questions de son faire-valoir du jour. Une ‘bulle médiatique’, en quelque sorte. »

Rares sont les journalistes, français ou étrangers, qui reconnaissent avoir été réduits au rôle de « faire-valoir » au cours d’une interview. Et plus rares encore ceux qui, comme Frachon et Descamps, analysent les modalités de cette instrumentalisation. Mais la dignité même dont les envoyés spéciaux du Monde ont fait preuve à cet égard souligne l’inconvenance qu’il y avait, ensuite, à publier le pseudo-interview tel quel, avec un immense portrait d’un Ahmadinejad assis dans son fauteuil,  à la fois majestueux et pensif, et une citation lénifiante en guise de sous-titre : « Le peuple iranien demande plus que la démocratie. Il veut la dignité humaine. »
La première réaction des journalistes français aurait du être – en théorie – de refuser l’interview sur le champ, dès lors qu’ils avaient compris le jeu qu’on voulait leur faire jouer. Mais soyons indulgents sur ce point. Ce n’est pas facile de déplaire à un puissant dans un pays libre. C’est impossible dans un pays qui n’a jamais respecté ni les droits de l’homme, ni ceux de la presse, ni ceux des étrangers.

La seconde réaction des envoyés spéciaux, une fois rentrés en France, aurait du être de ne pas publier l’interview. Je suis sûr qu’ils y ont songé. Et je suppose que l’éminent quotidien n’a renoncé à un tel geste que pour préserver sa présence en Iran. Là encore, on peut comprendre. Mais on peut exprimer son désaccord. Si le souci de l’information doit transformer les informateurs en otages, n’informez plus. Ou plutôt, sachez recourir à d’autres sources. L’Occident a toujours su ce qui se passait chez Hitler, Staline et Mao, avec ou sans journalistes accrédités à Berlin, Moscou et Pékin.

La troisième réaction aurait du être, au minimum, de ne pas octroyer à Mahmoud Ahmadinejad une maquette et une mise en page qui l’avantagent. Ici, aucune indulgence n’est plus possible. Marshall McLuhan, le philosophe canadien qui, dans les années 1960, a défini le monde moderne comme une société de communication généralisée, disait que  « the massage is the message ». En bon français :  « Ce n’est pas le fonds qui compte, mais la forme ». Ne me dites pas que l’éminent quotidien n’a jamais entendu parler de McLuhan, je ne vous croirais pas.

Le régime totalitaire iranien poursuit ses buts propres en manipulant ainsi la presse et les faiseurs d’opinion des pays libres. D’abord, il désespère un peu plus son propre peuple et éteint donc en son sein les velléités de révolte. Ensuite, il anesthésie les pays libres eux-mêmes. Tout message porte, pourvu qu’il soit répété. C’est aussi de McLuhan, mais cela pourrait être de Séguéla. L’Occident s’habitue à Ahmadinejad. Même quand il croit encore lui résister, il lui cède déjà. Au fond, que réclame l’Iran ? La bombe – au nom de la « dignité humaine » – et la destruction d’Israël. Moyennant quoi, il offre la paix et la coopération économique. Que réclamait Hitler en 1938 ? Les Sudètes – au nom de la dignité du peuple allemand – et l’exclusion des Juifs. Moyennant quoi, il offrait la paix pour mille ans.

© Michel Gurfinkiel, 2008

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