Méfiez-vous des stratégies "communautaires" : une clientèle électorale peut en cacher une autre…
De nombreux hommes politiques professent aujourd’hui, à propos des juifs et d’Israël, un cynisme tranquille. Ils font valoir qu’on ne compte en France qu’un peu plus de 500 000 juifs, soit moins de 1 % d’une population totale de près de 64 millions d’habitants, alors que les musulmans, de leur côté, seraient 6 millions selon l’estimation la plus basse, ou 8 à 9 millions selon une estimation haute, soit 10 à 15 % de la population. Electoralement, il faudrait donc miser sur les seconds plutôt que sur les premiers. C’est ce qu'affirmait, voici quelques années, l'universitaire Pascal Boniface, alors membre du PS. Et ce que sous-entend Philippe Douste-Blazy, l’actuel ministre UMP des Affaires étrangères, quand il déclare – je cite – que « la politique étrangère de la France doit refléter la diversité de la société française ».
Ce raisonnement n’est pas seulement contraire à l’éthique politique. Il est faux. D’abord, une partie importante des musulmans vivant en France ne sont pas citoyens français. Une autre partie est âgée de moins de dix-huit ans. C’est autant à soustraire d’un prétendu vote islamique. Ensuite, les musulmans qui votent ne forment pas un bloc monolithique. Les communautés berbères, et tout particulièrement kabyles, les milieux kurdes, certains milieux musulmans africains, acceptent la démocratie laïque à l’occidentale et adoptent une attitude ouverte, voire même positive, à l’égard d’Israël.
Mais à la surestimation du vote islamique s’ajoute une sous-estimation du vote juif ou judéophile. Des enquêtes sociologiques sur le comportement religieux des Français, il ressort en effet, depuis une vingtaine d’années, que si 1 % environ de la population française se définit comme juive et exclusivement juive, 1 % supplémentaire s’identifie largement ou assez largement au judaïsme, et 2 % de plus s’identifient en partie au judaïsme. A quoi ces chiffres correspondent-ils ? A un phénomène de marranisme, de judaïsme de mémoire, hors rituel ou appartenance institutionnelle, qui est bien plus répandu qu’on ne croit, en particulier dans les milieux achkénazes. Au souvenir d’une origine juive. Et enfin à un fort courant de proximité avec le judaïsme existant dans des milieux totalement non juifs, notamment chez des chrétiens pratiquants, protestants mais aussi, de plus en plus souvent, catholiques.
Au total, l’audience du judaïsme, c’est à dire l’ensemble des milieux portant une attention vive – susceptible de se traduire en comportement électoral – aux problèmes de la communauté juive, à la défense du judaïsme traditionnel, à l’antisémitisme et à la sécurité d’Israël, peut donc être évaluée à 4 % au moins de la société française et du corps électoral. Et sa structure socioéducative lui donne sans doute un effet de levier non négligeable dans le reste de la nation.
Une stratégie communautaire ou passant pour telle peut en cacher une autre.