Michel Gurfinkiel

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Palestiniens/ Le jeu se complique

Comment payer les fonctionnaires palestiniens sans soutenir le gouvernement Hamas ? A l’arrière-plan, des menaces de guerre civile. Et même de coup d’Etat en Jordanie." Au nom d’Allah, le Miséricordieux, le Compassionné… "  Le texte, publié d’abord dans le journal palestinien Al-Quds,  fait la une de la presse du Moyen-Orient depuis le début de la semaine. Intitulé " Pacte national pour la réconciliation ", il a été rédigé et signé par des personnalités palestiniennes détenues dans des prisons israéliennes : notamment Marwan Barghouti, l’un des chefs du Fatah au début de la Seconde Intifada, et Abdelkhalek Natché, l’un des dirigeants du Hamas. But officiel : proposer un programme commun de gouvernement aux diverses tendances du mouvement palestinien. But officieux : convaincre  le gouvernement  Hamas, issu des élections du 25 janvier dernier,  de se soumettre au président Mahmoud Abbas, homme du Fatah. Ce qui implique, selon les signataires, de se rallier clairement au processus de paix en cours (la " feuille de route ") et de reconnaître Israël, au moins de facto.

Pour l’instant, le Hamas, organisation djihadiste, s’y refuse : selon lui, la Palestine, " comme toute terre qui a été conquise militairement par la communauté musulmane dans le passé ", constitue " un dépôt sacré pour toutes les générations musulmanes ".  Mais cet extrémisme est en train de conduire à un drame :  la paralysie presque totale des institutions palestiniennes ; et au-delà, à l’implosion de la société palestinienne elle-même.

Plus de la moitié du PNB des Territoires de Cisjordanie et de Gaza (un peu plus de 3 milliards de dollars) repose sur un financement international : aide de l’Onu aux " réfugiés de 1948 " et à leur descendance, par l’intermédiaire d’une agence spéciale, l’UNRWA ; aide à l’Autorité palestinienne (AP), l’Etat autonome mis en place à la suite des accords d’Oslo de 1993 ; aides humanitaires, sociales et économiques diverses. L’Union européenne, par exemple, verse 500 millions d’euros par an (plus de 600 millions de dollars) : 52 % sont destinés à l’aide humanitaire, 48 % à des " actions de soutien social et économique " gérées par l’AP. L’ensemble de la communauté internationale,  y compris l’Union européenne, paie les salaires des 160 000 fonctionnaires de l’AP, soit 350 millions de dollars au total. Lesquels feraient vivre,  directement  ou indirectement,  29 % de la population.

A l’époque de Yasser Arafat, une partie de ces fonds  était détournée à des fins " politiques " , " militaires ", ou simplement crapuleuses (900 millions de dollars ont ainsi été subtilisés, d’après le Fond monétaire international). Mais du moins le raïs prétendait-il rester fidèle au processus de paix fixé à Oslo : ce qui faisait taire les scrupules des donateurs. Avec le Hamas, cette excuse ne tient plus. Depuis deux mois, l’aide internationale est donc peu à peu ralentie, suspendue ou " gelée ".  L’Union européenne a suspendu les versements destinés au gouvernement ou aux services publics palestiniens, soit près de 250 millions d’euros. Les autres donateurs font de même. Israël, qui contrôle toujours une partie des douanes palestiniennes, a bloqué le reversement de 84 millions de dollars au titre des taxes d’importation, sur un total de 95 millions.

Jusqu’où cette asphyxie peut-elle aller ? En principe, il ne s’agit pas de " punir " les Palestiniens, de les condamner à la famine ou à la privation de soins médicaux, mais de leur démontrer qu’un gouvernement  Hamas constitue une impasse – ou d’obtenir de ce dernier une autre attitude. C’est ce que l’Autrichienne Benita Ferrero-Waldner, la commissaire européenne chargée du dossier, expliquait dès le 27 février : " Une aide minimum continuera à être accordée sans conditions préalables… Le reste… dépendra de l’attitude du gouvernement que les Palestiniens viennent d’élire… "  Cette position est reprise par les autres membres du Quatuor (ou " Quartet " en anglais) qui supervise l’application de la feuille de route : les Etats-Unis, l’Onu et la Russie.

Mais le diable est dans les détails, et les anges aussi. L’Allemagne, l’Autriche, la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis veulent maintenir " l’aide minimum " le plus bas possible, pour que les pressions soient effectives. Tandis que la France, la Suède, la Norvège, la Russie plaident pour une attitude plus souple. Lors de la visite que Mahmoud Abbas lui a rendue les 27 et 28 avril, Jacques Chirac observait : " Nous ne pouvons pas pénaliser au peuple palestinien… à travers des sanctions économiques… même si nous n’obtenons pas tout de suite ou de façon suffisamment claire le but recherché : la renonciation au terrorisme ".

La solution consisterait à faire passer l’aide internationale par un organisme palestinien spécial, placé sous l’autorité directe d’Abbas. " Nous allons établir les paramètres nécessaires ",  a précisé Ferrero-Waldner début mai. " Tout devrait être au point d’ici quelques semaines ". Saeb Erekat, l’adjoint d’Abbas chargé des négociations de paix avec Israël, s’est " félicité " de cette formule. Mais le  premier ministre Hamas, Ismaïl Haniyeh, s’indigne : " En fait le Quatuor cherche à démanteler le gouvernement  palestinien ou à le rendre inutile ".  Khaled Meshaal, l’homme fort du Hamas, est plus explicite encore. Dès le 16 avril, il affirmait à Téhéran, au cours d’un congrès de soutien au peuple palestinien : " Nous assistons à la mise en place d’un gouvernement parallèle, d’un contre-gouvernement qui va dépouiller le gouvernement légitime de ses prérogatives et le peuple de ses droits. C’est un complot. "

Difficile de récuser cette analyse. Qui paie commande. Et qui paiera les services publics palestiniens apparaîtra fatalement comme le véritable maître. " Les salaires, les salaires avant tout… C’est la préoccupation essentielle pour les habitants de Cisjordanie et de Gaza ", confirme Hani Habib le 15 mai, dans le quotidien palestinien Al-Ayam.

Face à ce " coup d’Etat ", le Hamas est tenté par la " révolution ".  De nombreux affrontements ont eu lieu entre les milices islamistes et celles du Fatah. Plusieurs dirigeants du Fatah auraient échappé à des attentats. Abbas lui-même aurait été pris pour cible. " Ce n’est pas la première fois que les Palestiniens prennent les armes les uns contre les autres ", écrit Abdallah Iskandar dans Al-Hayat,  le grand journal arabe publié à Londres. " Mais pour la première fois, c’est la nature même du mouvement palestinien qui est en cause. On s’approche d’une véritable guerre civile ".

D’où le " Pacte pour la réconciliation " de Barghouti et  Natché. Leur " incarcération "  en Israël leur donne une certaine autorité morale. Barghouti semble avoir agi à la requête personnelle d’Abbas. Natché, à la demande de Haniyeh, qui se veut le plus modéré des dirigeants Hamas. Bien entendu, l’opération a été autorisée et soutenue par les Israéliens. Mais de nombreux analystes pensent qu’elle vient trop tard. Et que la guerre civile est " programmée " des deux côtés.

Le Hamas, déjà bien équipé sur le plan militaire, bénéficierait de " livraisons " supplémentaires, d’origine vraisemblablement iranienne ou syrienne. Début mai, la marine israélienne a intercepté au large de Gaza deux bateaux palestiniens qui venaient de recevoir en pleine mer une cargaison d’explosifs, acheminée par un bateau battant pavillon égyptien. Un cas parmi d’autres, selon Tsahal : " Nous savons que certaines cargaisons échappent à notre surveillance. Les matériels concernés sont dirigés contre nous en priorité. Mais peuvent être retournés contre les hommes de Mahmoud Abbas ".

Toutefois,  le scénario d’une guerre civile interpalestinienne est trop " simple " pour être vraisemblable. Personne ne tolèrera l’élimination du Fatah : ni Israël, ni les Occidentaux, ni même les principaux pays arabes. Mais tout le monde acceptera, si le choix est véritablement posé, l’élimination du Hamas. Des plans auraient déjà été élaborés dans ce sens : Gaza serait nettoyé par des forces conjointes israéliennes et égyptiennes, la Cisjordanie par les Israéliens.

Dès lors, le Hamas serait contraint d’opérer un mouvement tournant.  Par la Jordanie. Ce pays de 6 millions d’habitants est aux deux tiers palestinien. L’islamisme y est bien implanté : si le parti islamiste officiel n’a obtenu que 10,4 % des voix aux dernières élections législatives, la " mouvance " des Frères musulmans, proche du Hamas, représenterait  de 30 % à 40 % au moins de l’opinion publique. Et le roi Abdallah II, à demi-britannique par sa mère, ne jouit pas de la même popularité que son père Hussein.

La semaine dernière, la télévision jordanienne a diffusé un document choc : la confession de militants du Hamas qui auraient entreposé des armements sur le sol jordanien et préparé des attentats dans le pays. Le porte-parole du Hamas, Sami Abouzahri, a dénoncé un " montage " : il est vrai que de fausses confessions publiques concernant des complots imaginaires sont fréquemment mises en scène dans les pays arabes et tout particulièrement à Amman. Mais l’on sait par ailleurs que le gouvernement jordanien a averti Ismaïl Haniyeh, au cours des dernières semaines, de nombreuses activités subversives de ce type. Si montage il y a, il est plus élaboré que d’habitude.

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Le pacte des prisons

Le Pacte national de réconciliation lancé par Marwan Barghouti et Abdelkhalek Natché comporte dix-sept articles. La plupart sont rédigés dans la langue de bois du nationalisme palestinien. L’article premier rappelle ainsi que " le peuple palestinien, dans sa patrie et dans la diaspora, veut libérer son pays, exercer son droit à la liberté, à l’indépendance et au retour, exercer son droit à l’autodétermination et à créer son propre Etat avec la Ville Sainte (Jérusalem) pour capitale et dans tous les territoires occupés depuis 1967, assurer le retour des réfugiés dans leurs foyers… "  Difficile d’aligner plus de revendications. Ni de moins se soucier des réalités du Moyen-Orient en 2006.

L’insistance sur le " droit au retour " est particulièrement significative : ce droit consisterait en effet à exiger, après la création d’un Etat palestinien en Cisjordanie et à Gaza, l’entrée de trois millions de Palestiniens en Israël ; donc d’imposer un suicide démographique à l’Etat juif. Sa seule mention entraîne, de la part des Israéliens, l’arrêt de toute discussion. L’article 9 préconise " un surcroît d’efforts " pour défendre la cause des réfugiés palestiniens et de leur " retour ".

Plusieurs articles prescrivent la poursuite de la lutte armée contre Israël, en contradiction avec les accords d’Oslo de 1993 et la feuille de route de 2003. L’article 3 estime que " le peuple palestinien a le droit de recourir à l’option de la résistance en utilisant tous les moyens à sa disposition… parallèlement à toutes les activités à caractère politique, de négociation et diplomatique tendant à la réalisation des mêmes objectifs". L’article 10 demande la création d’un Front uni de la Résistance, doté d’un commandement unifié.

Mais d’autres passages du Pacte de réconciliation sont d’une veine différente.

L’article 5 affirme que l’Autorité palestinienne, " fruit des luttes du peuple palestinien ", doit être préservée, de même que l’autorité du président Mahmoud Abbas et celle du gouvernement résultant d’élections démocratiques. L’ordre des mots est important : dans le compromis proposé, Abbas doit avoir le pas sur le Hamas. L’article 6 appelle à la constitution d’un gouvernement d’union nationale, disposant " du soutien unanime de tous les groupes palestiniens ". Ce qui revient à contester au Hamas sa qualité de parti majoritaire.

L’article 7 affirme que " les négociations de paix avec Israël sont de la compétence de l’OLP et de l’Autorité palestinienne " : c’est-à-dire d’Abbas, qui est le président de ces deux instances. Une formule ingénieuse,  censée ôter toute importance aux positions du Hamas en la matière. Dans le même esprit, cet article envisage de soumettre à un référendum un éventuel accord de paix avec Israël.

Enfin, le droit à la " résistance " est restreint aux territoires occupés par Israël après 1967. Ce qui peut être lu – au-delà des palinodies sur le " droit au retour " – comme une reconnaissance implicite de l’Etat juif dans ses frontières antérieures à cette date. Conformément à la position officielle d’Abbas.

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