Michel Gurfinkiel

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Palestiniens/ Sept questions sur le Hamas

La démocratisation de la société palestinienne devait consolider la paix. Elle porte au pouvoir les djihadistes du Hamas. Sept clés pour comprendre la suite des événements." Le gouvernement palestinien, quel qu’il soit, doit renoncer à la violence, reconnaître Israël et accepter les accords de paix existants… Il va de soi que l’aide internationale dépendra de l’application de ces principes… " C’est l’avertissement que Kofi Anan, le secrétaire général de l’Onu, adressait lundi dernier au vainqueur des élections législatives palestiniennes, le Mouvement de la Résistance islamique, plus connu sous son acronyme arabe : Hamas. Le 26 janvier, celui-ci avait emporté 76 sièges sur 132 au parlement de Ramallah. Le Fatah, qui soutient le président Mahmoud Abbas, n’en avait obtenu que 43. Les autres partis se partageaient les treize sièges restants.

La victoire du Hamas constitue ce que l’on appelle en termes philosophiques une aporie : " une difficulté logique sans issue " (Petit Larousse). Il semblait aller de soi, jusqu’à présent, que le régime mi-autocratique, mi-mafieux, instauré par Yasser Arafat dans les Territoires palestiniens avait été l’une des causes principales de l’échec des accords d’Oslo de 1993 ; et que l’instauration d’un régime plus démocratique allait au contraire contribuer à la reprise du processus de paix entre Israéliens et Palestiniens. Or voici que la démocratie donne le pouvoir à un parti qui récuse en fait la démocratie, rejette l’idée même d’une paix avec Israël et pratique ouvertement le terrorisme. " So, what’s next ? ", aurait dit la secrétaire d’Etat américaine, Condoleezza Rice, en apprenant les résulats : " Et maintenant, on fait quoi ? "

Seule consolation, qui n’en est pas vraiment une : la Palestine n’est pas le seul pays arabe ou islamique confronté à cette aporie. En 2005, les élections irakiennes ont donné le pouvoir à des partis chiites liés aux ayatollahs locaux. Les élections égyptiennes ont révélé une forte montée des Frères musulmans, en dépit de garde-fous multiples. Il en est allé de même, les années précédentes, en Jordanie, au Maroc et en Algérie. Au Liban, la restauration de l’indépendance nationale est hypothéquée par la percée électorale du Hezbollah dans la communauté chiite. En Turquie, le parti islamiste modéré AKP a pris en 2002 le contrôle de la République laïque fondée voici plus de quatre-vingts ans par Atatürk. En Iran, la " démocratie islamique " se réduit à un débat entre l’aile modérée et l’aile radicale du khomeinisme : mais même dans ce contexte, il n’est pas indifférent que l’aile radicale l’ait emporté au printemps dernier, avec Mahmoud Ahmadinedjad.

1. LE HAMAS EST-IL VRAIMENT MAJORITAIRE ?

Les Territoires palestiniens sont dotés d’un système électoral mixte, de type allemand : la moitié des députés est élue au scrutin majoritaire uninominal, l’autre moitié au scrutin de liste proportionnel. La victoire du Hamas a été plus nette au scrutin majoritaire : 46 sièges sur 66. A la proportionnelle, il n’a obtenu que 30 sièges, face aux 27 sièges du Fatah et aux 9 sièges des petits partis. En d’autres termes, si les élections s’étaient déroulées uniquement à la proportionnelle (comme en Israël), le Fatah aurait probablement gagné d’une courte tête.

Géographiquement, la Palestine est divisée en quinze circonscriptions : onze en Cisjordanie et quatre à Gaza. Le Hamas est majoritaire dans les deux territoires. En Cisjordanie, il domine dans les grandes villes : à Hébron (9 sièges sur 9), à Naplouse (5 sièges sur 6), à Ramallah-Bira (4 sièges sur 5), dans la région de Jérusalem (4 sièges sur 6). Le Fatah résiste cependant à Bethléem (2 sièges sur 4) et à Jérusalem-Est (2 sièges sur 6) grâce à l’appui des chrétiens.

A Gaza, le Hamas domine dans les camps de réfugiés de Gaza-Nord (5 sièges sur 5) mais n’obtient qu’une courte majorité à Gaza-Ville, le " Tel-Aviv palestinien " (5 sièges sur 8). Rafah, au sud, reste un bastion du Fatah (3 sièges sur 3).

2. ENTRE LE FATAH ET LE HAMAS, QUELLES DIFFERENCES ?

Les deux organisations sont issues de l’islamisme palestinien d’avant 1948, lui-même lié aux Frères musulmans d’Egypte et de Syrie. Mais le Fatah, sous la direction d’Arafat, a subordonné la religion au nationalisme, tandis que le Hamas, fondé et dirigé par le cheikh Ahmed Yassine, considère le nationalisme comme un simple " véhicule " de la renaissance religieuse.

Dans les années 1970 et 1980, alors qu’Arafat prônait la lutte militaire et politique contre Israël, Yassine avait opté pour une stratégie civile : soumission à Israël, mais mise en place de structures éducatives ou sociales strictement islamiques. Après les accords d’Oslo, une sorte de chassé-croisé s’est produit : Arafat a joué en partie la carte de la coopération avec Israël, tandis que le Hamas s’est converti à la lutte armée.

Au centre de l’idéologie du Hamas, la Charte de 1988, rédigée par cheikh Yassine. Un manifeste islamiste sans concession. L’article 13 affirme que " la question palestinienne n’existe que sous l’angle du djihad ". L’article 11 interdit tout compromis avec Israël, et ajoute : " La loi islamique qui enjoint de libérer la Palestine est la même que celle qui s’applique à tout autre territoire qui a été conquis à un moment ou un autre par l’islam ". En d’autres termes : d’abord la Palestine, puis l’Espagne, la France jusqu’à Poitiers, les Balkans…

3. COMMENT EXPLIQUER CETTE VICTOIRE ?

Le Hamas est implanté depuis une vingtaine d’années dans les régions traditionnellement religieuses de Cisjordanie, comme Hébron, ou à Gaza. Il y contrôle notamment les universités locales. Arafat lui avait interdit de prendre part en tant que tel aux premières élections législatives palestiniennes, en 1996. Selon certains analystes, il aurait pu obtenir dès cette date entre 30 et 40 % des sièges au parlement.

A cet ancrage relativement ancien se sont ajoutés d’autres facteurs : le Fatah a été déconsidéré par de nombreuses affaires de corruption ; son chef actuel, Abbas, n’a pas le charisme d’Arafat ; en se posant désormais en parti de la paix avec Israël, il a perdu beaucoup de cadres et de militants. En fait, le Fatah serait à mi-chemin entre deux identités. Il devrait sa résilience partielle au ralliement de la " minorité silencieuse " palestinienne : les milieux qui aspirent à la normalisation et au développement économique, les chrétiens qui redoutent la mise en place d’un Etat islamique fondé sur la charia…

4. QUELS POUVOIRS OFFICIELS POUR UN GOUVERNEMENT HAMAS ?

Personne ne le sait exactement. Les lois constitutionnelles palestiniennes, improvisées en 1994 lors de la mise en place du régime d’autonomie, concentraient la plupart des pouvoirs entre les mains d’un président élu au suffrage universel, qui n’était autre que Yasser Arafat. Après l’échec de la Seconde Intifada, en 2002, un régime semi-parlementaire, évoquant la Ve République française, a été mis en place : le président garde des pouvoirs étendus, mais il nomme un premier ministre qui lui-même nomme et dirige un gouvernement responsable devant le parlement. Ce poste a été successivement détenu par Mahmoud Abbas en 2003, puis par Ahmed Korei.

Paradoxe : le renforcement du parlement et du premier ministre, conçu à l’origine comme un moyen de mettre Arafat hors jeu et de renforcer les modérés au sein des institutions palestiniennes, risque de jouer aujourd’hui en faveur des ultras.

5. QUELS POUVOIRS REELS ?

Administration nationale palestinienne, présidence, parlement, gouvernement : ce n’est là qu’une façade. Les vrais pouvoirs appartiennent à ceux qui disposent d’argent et d’armes.

Jusqu’à sa mort, fin 2004, Arafat avait gardé la haute main sur les finances de l’Autorité palestinienne, sans parler du " trésor de guerre " du mouvement national palestinien, une fortune évaluée à plusieurs milliards de dollars et placée sous sa signature personnelle. Cette puissance financière lui a permis de conserver une autorité presque absolue sur les forces armées officielles, les forces de police, les services secrets, certaines milices (notamment le
Tanzim) et la moitié au moins des organisations terroristes (notamment les Brigades des Martyrs Al-Aqsa).

Depuis sa mort, les finances officielles palestiniennes sont passées sous le contrôle d’Abbas.
Mais elles semblent se limiter aux aides internationales diverses et au reversement des droits de douanes prélevés par Israël : début 2006, le budget l’Autorité palestinienne présente un déficit de 69 millions de dollars. Le " trésor de guerre " aurait été confié à un directoire secret, où le deuxième président doit cohabiter avec d’autres dirigeants palestiniens et avec le clan familial Arafat. Cette faiblesse financière se traduit par un contrôle très aléatoire de l’armée, de la police et des services secrets. Quant aux réseaux terroristes, ils ont été mis en sommeil.

Le Hamas a mis sur pied ses propres sources de financement dès la fin des années 1980, y compris son propre " trésor de guerre ". Il recevrait aujourd’hui une aide importante de l’Iran et de la Syrie, par l’intermédiaire du Hezbollah libanais. En outre, ses victoires aux élections municipales (il contrôle la plupart des grandes villes) lui ont donné accès à des revenus légaux et transparents : taxes locales, attribution d’aides internationales à des œuvres à caractère social ou culturel gérées par les mairies…

Il dispose de ses propres forces paramilitaires ou terroristes (les Brigades Ezzeddine Al-Qassam) et semble avoir noyauté une partie des forces militaires ou policières officielles.

6. ABBAS PEUT-IL RECOURIR A L’ETAT D’URGENCE ?

C’est le scénario qui a circulé tout au long de l’année 2005 : Abbas décrète l’état d’urgence et liquide le Hamas et ses cellules terroristes, avec l’aide des Israéliens, des Américains, voire même des Jordaniens ou des Egyptiens. La contrepartie palestinienen de la " manière forte " employée par Sharon contre les Israéliens installés à Gaza.

Mais Abbas a refusé de tremper dans cette " guerre civile". Peut-être parce qu’il n’avait pas réellement les moyens. Peut-être aussi parce qu’il ne voulait pas apparaître comme une sorte de traître. Il est peu probable qu’il tente aujourd’hui un coup de force contre un Hamas légitimé par les urnes. Certains de ses conseillers ont laissé entendre que cette solution pouvait être envisagée ultérieurement, dans une Palestine complètement indépendante, mais pas sous le régime actuel.

Il n’en reste pas moins qu’Abbas ne semble pas prêt non plus à s’accommoder d’un gouvernement Hamas. Ces derniers jours, il a multiplié les contacts – et appels à l’aide – auprès des Occidentaux et dans les pays arabes modérés. Un point crucial : avoir les moyens de payer les 135 000 fonctionnaires de l’Autorité palestinienne et ses 60 000 militaires et policiers.

7. FAUT-IL DONNER UNE CHANCE AU HAMAS ?

C’est la ligne qui prévaut dans un premier temps : juger le Hamas sur ce qu’il fera désormais plutôt que sur son passé. Kofi Anan y a fait allusion en posant ses " trois conditions " sur le maintien de l’aide internationale. Le président américain George W. Bush a également indiqué qu’un " nouveau Hamas " pouvait jouer son rôle dans le processus de paix.

La réponse des dirigeants du parti islamiste est ambiguë. Mahmoud Zahar, qui passe pour être le plus influents d’entre eux, a affirmé dès le 26 janvier que " la reprise de négociations avec Israël n’était pas à l’ordre du jour ". Mais Ismaïl Haniyeh, qui conduisait la liste Hamas aux élections, affirme que les accords " qui sont des faits accomplis sans être formellement légaux " seraient respectés.

Chez les Israéliens, on pense généralement que le Hamas veut renouer avec son ancienne stratégie " civile " : respecter une trêve prolongée afin de parachever l’islamisation – et la " djihadisation " des Territoires palestiniens.

© Michel Gurfinkiel & Valeurs Actuelles, 2006

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