Benoît XVI, " fils du peuple allemand ", à Auschwitz. Au-delà du pèlerinage, une profigieuse leçon de théologie sur la Shoa et la réconciliation.Une silhouette blanche qui s’avance, entre les " blocks " , un regard concentré, des mains croisées à la hauteur du cœur : l’image de Benoît XVI à Auschwitz restera dans les esprits et les mémoires. Il était tout naturel pour Jean-Paul II, " fils du peuple polonais ", de se rendre en pèlerinage dans l’ancien camp nazi. Mais pour un " fils du peuple allemand " , qui de surcroît avait déjà l’âge de raison sous le IIIe Reich, c’était une toute autre affaire. Un tel pape ne pouvait esquiver aucune interrogation, aucune remise en question, au cours d’une telle visite. Ni sur le plan de l’histoire, ni sur celui de la foi.
De 1940 à 1945, les Allemands circulaient en voiture à Auschwitz (en fait trois camps distincts, sur 100 kilomètres carrés). En dépit de son âge, Benoît XVI a tenu à passer à pied, comme les déportés, le portail frappé de la sinistre devise Arbeit macht frei (" Le travail rend libre "). Il a prié devant le mur des exécutions. Il est descendu dans la cellule où le père Maximilian Kolbe, canonisé par Jean Paul II, s’était laissé mourir de faim et de soif à la place d’un otage dont il avait demandé la grâce. A Birkenau, " l’usine de la mort " édifiée en 1942 où une ligne spéciale de chemin de fer conduisait directement aux chambres à gaz et aux fours crématoires les juifs " rafflés " dans toute l’Europe, le pape s’est longuement arrêté devant chacune des stèles consacrées aux victimes, pays par pays.
Peu de paroles : " Dans un endroit comme celui-ci, les mots font défaut ". Et un choix méticuleux des langues employées. Le latin dans la cellule de Kolbe. En arrivant à Birkenau, quelques mots en allemand, pour assumer son identité. Et enfin un discours en italien, en italien, langue de l’évêque de Rome : la plus " neutre " et la plus universelle.
Redevenant le théologien Ratzinger, Benoît XVI fait de la Shoa la pierre angulaire de la spiritualité moderne. Ce " crime sans équivalent dans l’histoire " a été selon lui un crime métaphysique visant, à travers " l’extermination totale du peuple juif ", une oblitération totale du message du Sinaï, dont ce dernier est le témoin : " Avec la destruction d’Israël, les assassins voulaient arracher aussi la racine sur laquelle se base la foi chrétienne ". Il n’est pas indifférent ni fortuit que le pape parle bien d’ " Israël ", au lieu d’employer une périphrase.
Ce n’est qu’en prenant la mesure de ce crime et de ce qu’il implique que la réconciliation est possible. Entre juifs et chrétiens. Entre chrétiens. Ou entre civilisations et religions diverses. Alors que le pape parlait, un arc-en-ciel s’est dessiné sur le ciel pluvieux de Silésie. Chose étrange, le phénomène est resté visible pendant de longues minutes.