Michel Gurfinkiel

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Etats-Unis/ Les pixels ne mentent jamais

Que reste-t-il de Condoleezza Rice ?

Pauvre Condoleezza Rice. Elle avait tout pour plaire. Jolie, élégante, brillante, tenace, elle semblait incarner en ce début de XXIe siècle à la fois la réussite des Noirs américains et celle des femmes. En 2004, sa nomination à la tête du Département d’Etat – à l’âge de cinquante ans tout juste – lui donnait même ce que l’on appelle « un destin national ». Certains commentateurs commençaient à voir en elle une candidate républicaine potentielle pour les élections présidentielles de 2008, face à une autre femme, Hillary Clinton, sénatrice démocrate de l’Etat de New York. 

Mais Rice n’a jamais été qu’une image. Et rien n’est plus dangereux pour une image que d’être trop fortement agrandie : nous avons tous fait l’expérience, avec la photographie numérique, de merveilleux portraits ou de somptueux clichés de vacances qui perdent leur netteté ou leur éclat quand on les porte une dimension trop loin. Les pixels ne mentent jamais.

Devenue secrétaire d’Etat, Rice s’est vidée de toute substance. Ou plus précisément, elle a montré qu’elle n’en avait jamais eu. Elle a voyagé, certes : le long périple planétaire des VIP, de lounge en tapis rouge. Cela lui a permis d’essayer toutes les tenues haute couture du moment : pourquoi pas ? Mais a-t-elle pour autant esquissé, sinon mis en place, une politique ? Non, alors qu’elle était théoriquement bien placée pour le faire. 

Regardons son C. V.  Après des études assez quelconques – elle n’a jamais bénéficié de ces bourses qui permettent aux élèves doués de toute origine et en particulier aux membres des minorités ethniques de fréquenter les très grandes universités américaines ou européennes, de Harvard à Oxford, et s’est contenté d’établissements moyens, tels que Notre-Dame ou Denver -, Rice a un coup de génie en termes de carrière : elle se laisse coopter par le parti républicain de Ronald Reagan, qui cherche désespérément à  échapper à sa réputation de « parti blanc », et obtient grâce à ce patronage un poste de professeur spécialisé dans les relations Est-Ouest à la prestigieuse université californienne de Stanford. De 1984 à 1995, la seule période où elle publie des livres ou des articles à caractère universitaire, elle ne traite que de l’URSS et du bloc communiste, puis de l’ex-URSS et de l’ex-bloc communiste. Elle devrait donc avoir développé un flair, une intuition ou du moins une expertise, sur la Russie ou l’Eurasie. Mais non. La secrétaire d’Etat Condoleezza Rice ne dit rien sur le sujet.  Le fait essentiel des années 2000, la résurgence du totalitarisme en Russie sous Vladimir Poutine, elle le contourne. Le rôle ambigu, pour ne pas dire pervers, que la Russie actuelle joue dans l’affaire iranienne – et dont rendent compte de nombreux experts américains, appartenant aux deux partis -, elle ne le relève pas. A d’autres de s’en soucier et de prendre les décisions difficiles : le président George W. Bush, le vice-président Dick Cheney, le Pentagone même après le départ de Donald Rumsfeld.

Son seul vrai souci, c’est le Moyen-Orient, l’Iran, l’Irak. La seule mission qu’elle revendique aujourd’hui, c’est en fait de sortir l’Amérique d’un bourbier où l’auraient précipité les néconservateurs – en langage codé : le lobby juif américain – en renversant Saddam Hussein en 2003. Et le moyen qu’elle préconise, c’est, bien évidemment, de faire payer Israël, en imposant à cet Etat dans le cadre d’une conférence internationale – Annapolis, novembre 2007 – le Munich qu’il mérite depuis longtemps. On aura reconnu le plan formulé en 2006 par ses deux mentors ou parrains de toujours, l’ancien secrétaire d’Etat américain James Baker, dit « J. R. », comme dans le feuilleton Dallas, et l’atroce amiral Brent Scowcraft, ancien adjoint de Baker, dit « le papillon à tête de mort ».

Ce qui appelle deux remarques.

Premièrement, si l’Irak a tourné au désastre (prions Dieu pour que l’Amérique finisse par reprendre la situation en main), les personnes qui en étaient chargées après la victoire y sont certainement pour quelque chose. Qui était la responsable ultime du dossier irakien en 2003 et 2004 ? Condoleezza Rice, en tant que présidente du Conseil national de sécurité des Etats-Unis.

Deuxièmement, Condoleezza Rice, qui parlait naguère de son expérience de petite fille noire victime de la discrimination en Alabama au début des années 1960 pour expliquer, devant des auditoires juifs, son soutien à Israël, cite à nouveau cette expérience pour justifier son empathie envers la cause palestinienne. Une sensibilité bien élastique.

Mais que fait Rice, dans ce cas, du passé de son patron de toujours, James Baker ? La famille Baker appartient à l’aristocratie de cet Etat. Le fondateur de la dynastie, James Baker Ier, a été l’un des fondateurs de la République du Texas, l’éphémère Etat indépendant arraché au Mexique en 1836 puis intégré aux Etats-Unis en 1845. La dynastie a évidemment pris le parti du Sud esclavagiste pendant la guerre de Sécession. Et dans les années 1960, James Baker III, celui dont nous parlons, « J. R. » lui-même, a quitté le parti démocrate, jusque là allié à l’extrême-droite blanche  du Sud, pour le parti républicain, jusque là honni pour avoir été celui de Lincoln, mais devenu, avec Barry Goldwater, le dernier rempart de la ségrégation.

Au même moment, toute la communauté juive américaine se mobilisait pour les droits civiques. Pour les droits, entre autres, d’une certaine Mademoiselle Rice.

© Michel Gurfinkiel, 2007

Special pour Hamodia France.

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