Paria pour les Occidentaux, Ahmadinejad est traité en égal par Hu Jintao et Poutine au sommet de l’OCS. Confirmation d’une " alliance des dictatures ". Dont la cible prioritaire serait l’Otan.Le président iranien Mahmoud Ahmadinejad avait la vedette, le 15 juin, au sommet de Shanghai : venu en tant qu’ " observateur ", il était traité en membre à part entière, aux côtés du président chinois Hu Jintao et du président russe Vladimir Poutine. Un traitement qui contraste avec l’ostracisme dont il est l’objet de la part des Américains et des Européens, en raison de ses provocations répétées sur le nucléaire et la " destruction d’Israël ".
La rencontre de Shanghaï n’avait rien d’improvisé. Elle se déroulait dans le cadre de l’organisation intératique portant le nom de cette ville chinoise (Organisation de coopération de Shanghaï ou OCS). Une structure créée le 26 avril 2001 dans la plus grande discrétion, puis présentée, après les attentats à grande échelle de Manhattan et de Washington, comme une " réponse aux menaces ". Mais qui pourrait être en fait, selon certains experts, l’amorce d’un bloc des pays autoritaires d’Eurasie.
L’OCS comporte actuellement six membres : la Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Kyrghyzistan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan. Ces six Etats sont tous postcommunistes : ils ont renoncé au communisme en tant que modèle économique, mais les communistes d’antan y sont toujours au pouvoir : soit officiellement, comme en Chine ; soit de facto, comme dans les cinq autres pays membres, issus de l’ex-URSS. La Chine, le pays le plus peuplé du monde, est en passe de devenir la première puissance " manufacturière " sinon industrielle du XXIe siècle, avec un taux de croissance de 9 % par an en moyenne. La Russie, le pays le plus vaste du monde, pourrait atteindre en 2006 un taux de 7 % grâce à ses réserves naturelles. L’une et l’autre sont des membres permanents du Conseil de sécurité de l’Onu. Et des puissances nucléaires " historiques ", autorisées par le traité de non-prolifération (TNP) à conserver leur arsenal. Beaucoup plus modestes par leur taille ou leur développement, les quatre autres pays consolident, par leur situation géographique, le binôme russe-chinois. Ils lui apportent en outre un complément important en matière de pétrole et de gaz naturel.
Trois autres pays sont associés à l’OCS en qualité d’observateurs : l’Inde, le Pakistan et l’Iran. Les deux premiers sont des puissances nucléaires " légales ", non signataires du TNP. Le troisième, l’Iran, signataire du TNP, aspire " illégalement " à en devenir une prochainement. L’Inde dispose d’une population comparable à celle de la Chine (1 milliard d’habitants) et connaît une croissance presque aussi rapide (plus de 6 %), fondée sur une maîtrise grandissante des technologies informatiques.
Lorsque les premières analyses sur l’OCS et le danger potentiel qu’elle pouvait représenter ont paru en Occident, fin 2005 et début 2006 (Valeurs Actuelles a été, en janvier 2006, le premier journal français à poser la question), plusieurs critiques ont été formulées. En particulier celle-ci : les intérêts stratégiques de la Russie et de la Chine sont trop divergents pour que les deux pays mettent sur pied une véritable alliance ; et il en va de même des pays observateurs . Si l’Inde est en de bonnes relations avec la Russie et avec l’Iran, elle est passée par des conflits répétés avec la Chine (qui occupe une partie de son territoire dans l’Himalaya) et avec le Pakistan (qui occupe le nord du Cachemire). Le Pakistan a de bonnes relations avec la Chine, mais est ou a été en conflit avec l’Inde, la Russie et l’Iran. L’Inde et le Pakistan ont plus à gagner, pour l’instant, du côté américain, depuis que le président Bush, au printemps dernier, a reconnu la légitimité de leur potentiel nucléaire. Et puis, il y a, en ce qui concerne l’Inde, une question de civilisation. Ce pays est une démocratie. Ce qui la rapproche des démocraties occidentales et l’éloigne des régimes autoritaires russe, chinois, pakistanais ou iranien.
De fait, l’Inde et le Pakistan se sont tenus en retrait du sommet du 15 juin. Mais pas l’Iran. Et le fait que la Russie et la Chine ont accepté de s’afficher avec ce pays est en soi significatif. L’OCS ne va peut-être pas regrouper toute l’Eurasie. Mais l’alliance triangulaire Moscou-Pékin-Téhéran se confirme.
Faut-il réinterpréter la crise nucléaire iranienne – les provocations d’Ahmadinejad d’une part, le refus russe et chinois de sanctions internationales, d’autre part – à la lumière de ces événements ? Le but ultime de Poutine et de Hu serait-il d’acculer l’Occident et en particulier l’Otan, la seule structure spécifiquement euro-américaine qui a survécu à la guerre froide, à une sorte de " perte de face " planétaire ? Après tout, sans l’aide de Moscou et de Pékin, Téhéran n’aurait jamais pu se doter de son potentiel nucléaire actuel.