Figure tragique, que Dominique Strauss-Kahn. Comme le Dom Juan de Molière et de Mozart. Il aurait pu régner en cachant ce qu’il était. Il a préféré donner la main au « convive de pierre »…
Il y a deux affaires Strauss-Kahn. L’américaine et la française.
Pour les Américains, c'est le sexe qui fait scandale. Pour les Français, l'argent. Les premiers l’accusent d’avoir violenté une chambrière du Sofitel de New-York. Les seconds lui reprochent d’avoir réservé, dans cet hôtel, une suite à trois mille dollars la nuit.
Strauss-Kahn nie les faits en ce qui concerne la jeune femme. Mais il a reconnu depuis longtemps qu’il aimait excessivement les femmes. Et il a déjà eu maille à partir avec le FMI – dont il est le directeur – pour une liaison avec l’une de ses subordonnées, une économiste hongroise. Même s’il est techniquement innocent dans l’affaire du Sofitel, il passe pour moralement coupable.
De même, il avait toutes les raisons, en tant que directeur du FMI, d’ancien ministre et de candidat à la présidence de la République française, de descendre dans un hôtel cinq étoiles : on travaille mieux dans le confort que dans la gêne. Mais il est socialiste. Donc, en théorie, du parti des pauvres. « Le prince ne doit pas être pieux, mais faire comme s’il l’était », disait Nicolas Machiavel. Dans une France qui a fustigé un président de droite pour un dîner au Fouquet’s et deux jours de vacances sur le yacht de Vincent Bolloré, le favori de la gauche aurait-il dû afficher son luxe ? Quelques jours plus tôt, ne l’avait-on pas blâmé de rouler en Porsche (plutôt qu’en 2CV ou en Trabant, je présume) ? Il aurait du prendre l’avertissement en compte.
Il va de soi que Strauss-Kahn, désormais, est mort en tant que personnage public. Si les juges ou les jurés américains le condamnent dans l’affaire de la chambrière, il risque vingt-cinq ans de pénitencier. S’ils l’innocentent, ce ne sera qu’au terme d’un long procès : d’ici là, il n’aura pu ni rester à la tête du FMI, ni participer à la campagne présidentielle française. Mais surtout, DSK est idéologiquement mort. Dès qu’il prétendra, dans un débat ou un livre, se préoccuper du sort des « moins favorisés », on lui jettera les mots « Porsche » et « suite » à la figure.
Mais il va de soi, en outre, qu’il a joué avec cette mort, ou qu’il l’a provoquée. Au fond, il aura été, dans tous les sens du mot, notre Dom Juan : du personnage de Molière et de Mozart, il avait l’hybris physique, l’intelligence, l’insolence, l’incroyance. Et la pulsion suicidaire. On lui passait tout. Mais de même que le Dom Juan classique, au lieu de se contenter de jouir sans entraves, va à sa perte en invitant à dîner la statue du commandeur, Strauss-Kahn a défié une morale américaine qui lui paraissait aussi étriquée qu’hypocrite, en continuant à afficher, même après l’affaire de l’économiste du FMI, son exubérance amoureuse. Et défié les tabous français, en montrant son argent.
(c) Michel Gurfinkiel, 2011