C'est notre dernier "écrivain engagé". Il se bat pour la France. Et l'idée qu'il s'en fait.
« Où vous situez-vous sur l’échiquier politique ? » C’est la question que le Nouvel Observateur pose à Renaud Camus, l'été dernier, quand celui-ci annonce sa candidature à la présidence de la République. « Eh bien à l’opposé exact de Mme Martine Aubry », répond-il. Mme Aubry « préface avec enthousiasme un livre-programme intitulé ‘Pour changer de civilisation’. Je suis le candidat de ceux qui trouvent que la civilisation française est l’une des plus hautes et des plus précieuses qu’ait connues l’humanité et qui ne voient aucune raison d’en changer. »
L’écrivain Renaud Camus n’aura été, bien entendu, qu’un candidat qu’à la candidature. Il aura beau avoir formé un parti – le Parti de l’In-Nocence – et suscité l’intérêt des médias et même du public, il n’aura pu, sous la législation et la réglementation en vigueur, obtenir les signatures d’élus divers qui auraient validé sa démarche et lui auraient permis de solliciter les suffrages des Français. Mais derrière la politique, il y a une métapolitique. Et au-delà des scrutins, les tectoniques profondes de l’opinion. Ici, l’écrivain prend sa revanche. Interdit de présidentielle, Camus publie deux essais sur l’état présent de la société et de la nation : Décivilisation, chez Fayard ; et le Grand Remplacement, chez David Reinharc. Qui auront peut-être autant d’influence, à tout prendre, qu’une campagne étroitement électorale…
Certains écrivains « s’engagent », politiquement ou religieusement, au rebours de leur œuvre ou de leur sensibilité. Camus, lui, persévère depuis près de quarante ans dans une œuvre immense mais cohérente. Quatre-vingt-dix volumes, pas moins ! Six d’églogues (« poèmes pastoraux », selon la définition du dictionnaire, mais rédigés en prose), six d’élégies (« poèmes mélancoliques »), deux d’éloges (« discours vantant les mérites de quelqu’un ou quelque chose »), quatre de chroniques, vingt-sept d’un journal intime, sept romans, un récit, deux répertoires, six volumes de miscellanées (« recueils d’écrits divers »), douze de topographie (« description de lieux divers »), seize essais politiques ou artistiques, une pièce de théâtre. Auxquels il faut encore ajouter cinq recueils de photographies et quelques interventions brèves sur trois sites électroniques.
Un simple « producteur de textes », un polygraphe, se serait effondré depuis longtemps, accablé par l’effort. Ou bien s’en serait remis à un atelier de nègres et autres assistants. Mais Camus écrit de sa propre main, au prix d’une discipline que son journal rapporte avec minutie (et quelque humour), et par la grâce d’un style à la fois classique et sinueux. Pascal Quignard, dans la même génération, tient la comparaison. Qui d’autre ?
Cette œuvre a d’abord été celle d’un immoraliste, c’est à dire d’un moraliste sans préjugés. D’où, sans doute, son premier succès. Mais au fil des années, et à mesure qu’elle s’étendait, elle a pris une autre tonalité. Camus a toujours su que les libertés dont il jouissait ne se concevaient pas en dehors de la civilisation occidentale, ni des patries européennes. Ce qu’il a mieux compris par la suite, et relaté avec de plus en plus de force et d’inquiétude, c’est d’une part qu’il n’était pas de civilisation sans héritage, sans hiérarchie, sans règles ; et d’autre part que cette armature, en Occident, se défaisait, sous l’effet de modes, d’idéologies totalitaires, mais aussi, plus généralement, d’une pulsion de dégradation et de mort.
Décivilisation traite de ce mal en soi et lui donne un nom : la nocence, du latin nocere (nuire). A quoi s’opposent, selon Renaud Camus, l’innocence, qui en est l’absence, mais aussi l’in-nocence, qui en serait le refus conscient et délibéré. Le Grand Remplacement porte sur un aspect plus limité, mais essentiel, des nécroses actuelles : la « contre-colonisation » de l’Occident, et singulièrement de la France, par des populations non seulement étrangères, mais hostiles. « D’aucuns s’interrogent », écrit Camus, « sur la passive acceptation de ce fait de ce flot continu, depuis quarante ans, de nouveaux occupants du territoire qui s’y installent à demeure avec leur famille, y établissant une descendance, en transforment radicalement l’aspect et celui de nos rues… Ce que l’Algérie indépendante de 1962 n’a pas envisagé un instant d’accepter, la présence sur son sol de dix pour cent de représentants d’une autre culture… la France, elle, ou en tout cas ses autorités médiatiques et officielles, l’accepte d’un cœur léger… » Sans compter que « les dix pour cent d’hier sont les quinze ou vingt pour cent d’aujourd’hui et les cinquante pour cent de demain ».
Cet aveuglement a été facilité, note Camus, par la « deuxième carrière d’Adolf Hitler » : « La folie meurtrière du nazisme a souillé le langage, détourné le sens des mots, changé le cours de la pensée. » A travers une « métonymie fatale », les notions qu’Hitler exaltait, nation, peuple, héritage, racines, race, se sont en quelque sorte amalgamées à son souvenir, et par là même ternis en Occident, au moment même où elles auraient été nécessaires ; mais ce qui est peut-être plus grave encore, c’est la mise en place, là où l’ancien vocabulaire ne peut plus être employé, d’une « novlangue », d’un lexique à la fois obligatoire, dévoyé et mensonger : « ‘Populaire’ signifie désormais immigré… comme dans la phrase : ‘Le candidat se nomme Toufik Lassaoui, ce qui devrait lui valoir les suffrages des quartiers populaires’ ».
D’autres facteurs jouent en faveur du Grand Remplacement. La dissymétrie religieuse, par exemple. Le christianisme s’apparente aujourd’hui – Camus le déplore – à une « religion demi-morte ». En face, « l’islam est une religion très dynamique, très aimée de ses fidèles, très naturellement et comme invinciblement portée à la conquête ». D’où, consciemment ou inconsciemment, la propension de nombreux chrétiens ou ex-chrétiens à ménager les nouveaux venus, sinon à faire cause commune avec eux.
Le combat, pour autant, est possible. « Voyez Israël résistant seul et depuis si longtemps au milieu d’un océan de haine. Voyez le Québec… Les peuples ont la vie dure : le nôtre a plusieurs fois prouvé qu’il était capable de revenir de très loin. Les civilisations aussi. On en a vu ressortir du tombeau »
« Décivilisation », Fayard. 211 pages, 17 euros.
« Le Grand Remplacement », Editions David Reinharc. 114 pages, 13 euros.
(c) Michel Gurfinkiel & Valeurs Actuelles, 2012