Ils veulent revenir à l’islam des origines : celui qui avait conquis la moitié du monde.
C’est à leur tenue qu’on reconnaît les salafistes : gandourah, barbe. Pour procéder à ses assassinats à Montauban et à Toulouse, Mohammed Merah était contraint circuler en moto, et donc de se harnacher à l’occidentale : combinaison de cuir et heaume. Mais quand il s’est retranché dans son appartement, il a remis la gandourah. Avec, tout de même, un gilet pare-balles. Il est mort dans cet « uniforme » le 22 mars.
De nombreuses religions ou sectes adoptent ou imposent des « looks » particuliers à leurs adeptes ou à certains d’entre eux. Conçus d’abord de manière fonctionnelle, ils prennent peu à peu, à mesure que le monde extérieur évolue, un caractère archaïque : qu’il s’agisse du turban des sikhs, qui remonte au XVIe siècle, du caftan des Juifs ultra-orthodoxes, XVIe et XVIIe siècles, de l’habit amish, XVIIIe siècle, ou de la bure des moines catholiques ou orthodoxes, héritage du Haut Moyen-Age. Mais dans le cas des salafistes, l’archaïsme n’est pas le résultat d’une évolution : il a été voulu d’emblée.
Le salafisme entend en effet restaurer l’islam des origines, celui des Salaf (« Premiers Fidèles ») qui ont vécu sous Mahomet ou ses successeurs immédiats, les quatre premiers califes. Son raisonnement : sous les Salaf, qui appliquaient sans états d’âme l’enseignement du Prophète, l’islam se propageait à la vitesse de l’éclair et s’emparait de tous les pays ; mais par la suite, quand les musulmans se sont laissés aller à une observance religieuse moins rigoureuse et ont imité le mode de vie des incroyants, leur expansion s’est ralentie et ils ont même connu de nombreux reculs (de la Reconquista en Espagne jusqu’à la colonisation). Pour que l’islam redevienne fort et reprenne ses conquêtes, il faut donc qu’il revienne à ses premières pratiques. Non seulement sur le plan rituel, moral, ou politique, mais aussi dans la vie quotidienne.
Du Moyen-Age au XVIIIe siècle, de nombreux mouvements de type salafiste se succèdent au sein du monde musulman sunnite : tandis qu’une idéologie similaire, fondée sur le « Retour de l’Imam Caché », s’installe dans le monde chiite. Au XIXe siècle, le mot prend brièvement une nouvelle signification : plusieurs réformateurs, comme l’Egyptien Mohamed Abdouh, l’Afghan Jamal al-Din al-Afghani et le Libanais Rashid Rida, affirment que « l’islam des origines » combinait en fait la foi et le rationalisme. Dans cette optique, le vrai salafisme consisterait donc à adopter les aspects scientifiques et technologiques de la civilisation occidentale. Cette réinterprétation est passée de mode, mais elle a laissé des traces : les salafistes actuels les plus extrémistes – les jihadistes – n’hésitent pas à utiliser les techniques occidentales, notamment pour les retourner politiquement et militairement contre l’Occident.
Au XXe siècle, le salafisme prend d’abord la forme de l’islamisme, qu’incarnent notamment les Frères musulmans, en Egypte puis dans le reste du monde arabe : un mouvement qui prône le retour à l’islam authentique, mais accepte, au moins à titre transitoire, le cadre politique des Etats modernes. L’échec relatif des islamistes dans les années 1980 et 1990 (notamment celui d’une conquête démocratique du pouvoir en Algérie, en 1992), favorise l’essor d’un néo-salafisme, plus radical, voué à un double jihad : contre les non-musulmans (chrétiens, hindous, juifs) et contre les musulmans modérés, tenus pour « apostats ». Les Frères musulmans égyptiens sont ainsi doublés par le mouvement Tafkir wal Hijra (« Exécration et Migration »), qui assassine Anouar el-Sadate en 1981, puis par un puissant parti salafiste apparu après le « printemps arabe » de 2011 (20 % de l’électorat). En Arabie Saoudite, le wahhabisme officiel est débordé par un néo-wahhabisme : Al Qaida.
La chance historique du néo-salafisme, c’est l’Afghanistan, que les moudjaheddin et les talibans transforment en camp d’entraînement, avec l’aide du Pakistan, officiellement allié à l’Occident mais en fait dominé par des officiers islamistes. Des dizaines de milliers de combattants d’élite – comme Merah, ce Waffen SS de l’islam – sont mis à la disposition de la « mouvance ». Les salafistes européens, une fois revenus dans leur pays, constituent des « nids de frelons », disposant de ressources financières et militaires considérables et prêt à agir sur un simple « signal » venus d’ailleurs. Merah est mort. Le démantèlement du jihadisme français ne fait que commencer.
(c) Michel Gurfinkiel & Valeurs Actuelles, 2012