Michel Gurfinkiel

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Justice/ La France a peur de son ombre

La France a peur de ses enclaves « barbares ». Et certains sont déjà prêts à « collaborer ». C’est ce que révèle le procès des assassins d’Ilan  Halimi.

 











L’affaire Ilan Halimi nous aura appris que la France a peur de son ombre. Des féodalités de « non-droit », des enclaves « tribales »,  qui se sont installées dans son sein. Mais aussi de la colère que celles-ci pourraient susciter.

 

Pourquoi la police n’est pas intervenue contre le Gang des Barbares (pour reprendre le nom que cette association de criminels s’était donnée à elle-même) avec la célérité voulue, c’est à dire avant le trépas du jeune garçon ? « On ne pouvait imaginer », explique-t-elle en substance, qu’ils iraient « aussi loin ». La police française a des défauts. Mais du moins connaît-elle son métier. Et sait-elle à quoi s’en tenir sur la nature humaine. On peut supposer qu’elle « imaginait » fort bien, en réalité, ce que subissait Ilan et ce qu’il risquait. Mais qu’elle craignait de s’attaquer à une criminalité lovée dans ce qu’il est convenu d’appeler « le quartier ». Un raid qui tourne mal, dans un tel contexte, c’est l’émeute assurée. Il lui fallait donc prendre son temps pour préparer l’opération. Tout son temps. Ilan n’a pas tenu jusque là.

 

Pourquoi l’affaire a-t-elle été jugée à huis clos ? Pour respecter l’âge de l’un des accusés ? Ou pour anesthésier l’opinion ? Un procès public, ce sont des scènes, des attitudes, des gestes, des regards, des mots, l’effet multiplicateur des médias, un spectacle qui entre dans les consciences individuelles et dans la mémoire collective collective. Un procès à huis clos, ce sont des débats abstraits, des médias absents ou bridés : il ne laisse de trace que dans les archives. C’est Dreyfus sans l’espoir d’être un jour réhabilité –  ou vengé – par Zola.

 

Pourquoi un verdict ambigu ? Fofana, le chef du Gang, est condamné à la peine maximale prévue par la loi française actuelle. Dont acte. Mais ses comparses ? Quatorze peines en deçà des réquisitions, à commencer par les neuf ans, au lieu de quatorze, qui frappent « l’appât », la fille qui a séduit le malheureux Ilan, et l’a attiré dans le piège mortel. Neuf ans, soit, compte tenu des réductions de peine quasi-automatiques, quatre ou cinq ans seulement de réclusion. Le garde des Sceaux, Michèle Alliot-Marie, a fait appel de ces sentences au nom de la République. Dont acte, là encore. Mais aurait-on osé les prononcer sans le huis clos ?

 

Pourquoi tant d’hésitation à qualifier d’ « antisémite » la séquestration et le meurtre d’Ilan Halimi, et ainsi à aggraver les peines, comme la loi le prescrit ? Parce que, dit-on, cela serait ressenti comme une « provocation » par certains milieux, et provoquerait des « tensions intercommunautaires ». Ce qui revient à reconnaître que la loi de la République s’arrête là ou commence celle des enclaves.

 

Pourquoi le procureur Philippe Bilger a-t-il cru bon de se dédouaner de ses réquisitoires en confiant à Paris-Match  que, fils de collaborateur condamné à la Libération, il « comprend » les accusés ? Aveu pour le moins indécent, message doublement subliminal, où le magistrat laisse entendre à la fois qu’il n’est pas content du rôle qu’il joue, et qu’il ne saurait être du côté des Juifs : « Mon père, Joseph Bilger, a été condamné à la Libération à dix ans de travaux forcés pour collaboration avec l'ennemi. Il avait, au nom de la politique du moindre mal, entretenu des relations avec l'administration lorraine, sous tutelle de l'occupant. Si ma passion professionnelle m'a conduit à affronter les accusés, à les écouter, peut-être à les comprendre, c'est parce que mon père a été accusé, qu'il a été condamné et qu'on ne chasse pas aisément son père de soi. »

 

Le « moindre mal » des années 1940 à la rescousse des « Barbares » des années 2000. Vous avez bien lu.

 

 

© Michel Gurfinkiel, 2009

 

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