Michel Gurfinkiel

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Livres/ Le roman vrai de l'Iran moderne

Ancien recteur de l'université de Téhéran, Houchang Nahavandi raconte deux siècles d'histoire. Avec un art consommé.Dans le privé, l’ayatollah Ali Khamenei, Guide spirituel de la République islamique, est un homme charmant : fin lettré, amateur de musique, il aime les longues soirées amicales où l’on ne parle ni de religion, ni de politique. Et quand il était plus jeune, il ne dédaignait pas un verre de vin. Mais Khomeini, lui, a toujours haï cet art de vivre. Comme d’ailleurs tout ce qui était iranien : la fête du Printemps (Novrouz),  le poète Firdouzi, dont il tenta de détruire le mausolée, et même l’emblème national, ce lion au soleil rouge remontant à la grande dynastie chiite des Séfévides (XVIe-XVIIe siècles), qu’il remplaça par un pictogramme abstrait symbolisant l’Unité divine…

Pourquoi ce comportement  paradoxal  de la part du maître absolu d’un grand pays ? Houchang Nahavandi rappelle dans son nouveau livre, Iran, le choc des ambitions (Editions Aquilion), un fait connu de tous en Iran, bien que les biographies officielles l’occultent soigneusement : Khomeini était quasiment étranger. Son grand père et son père étaient venus du Cachemire à la fin du XIXe siècle. Déracinés, imbus d’eux-mêmes, ils avaient surenchéri dans l’intégrisme chiite pour se donner une identité acceptable (et usurpé, en passant, la qualité de " seyyed " ou descendants du Prophète). Une attitude que le terrible ayatollah avait assumé à son tour.

Ces petits détails, ces " petites miettes de vérité ",  nourrissent le livre. Nahavandi, qui fut recteur des universités de Chiraz et de Téhéran, et ministre de l’Education, sait les utiliser avec un art consommé pour retracer l’histoire moderne de l’Iran : du déclin des Séfévides au régime islamiste. En passant par Nadir Chah, le Napoléon iranien du XVIIIe siècle (sunnite !) qui conquit Delhi, les premières tentatives de réforme au XIXe siècle, la modernisation quasi-kémaliste menée par le premier roi Pahlavi, Reza le Grand, dans les années 1920 et 1930, et enfin le long règne du second Pahlavi, Mohamed Reza, de 1941 à 1979. Personnalités charismatiques, souverains décadents, humiliations nationales, volonté de revanche sur le destin, rivalités individuelles, amours, vengeances,  tout y est. Sans oublier le chœur antique : le peuple iranien trimillénaire.

Mais il y a aussi, chez Nahavandi, une philosophie de l’histoire. Limpide et amère. La seule faute du chah fut de croire aux " pays amis ". Les Etats-Unis l’avaient aidé à reprendre le pouvoir en 1953. Mais devaient le contraindre à l’abdication vingt-cinq ans plus tard, un président inepte – Jimmy Carter – ayant été installé à la Maison Blanche. Et la France, sa seconde patrie,  donna asile à Khomeini, dans un accès de machiavélisme puéril.

" Iran, le choc des ambitions ", par Houchang Nahavandi. Editions Aquilion. 743 pages, 28 euros.

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