Michel Gurfinkiel

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Moyen-Orient/ Alerte rouge

Un drone iranien à proximité de la centrale israélienne de Dimona. Au moment où Téhéran revendique lui aussi le droit à une « attaque préventive »…

La guerre israélo-iranienne a peut-être commencé le 6 octobre, à 10 heures du matin : quand l’armée de l’air israélienne a repéré, observé et détruit un drone de petite taille au-dessus de Hébron, en Cisjordanie. Un « engin non-identifié », selon l’état-major israélien. Mais dont la présence était décrite comme « une tentative grave de violer l’espace aérien » du pays.

 

A part Israël, un seul pays du Moyen-Orient a mis au point des drones militaires opérationnels : l’Iran (La Turquie, qui s’est équipée auprès d’Israël dans un premier temps, entend produire ses propres engins à brève échéance). Téhéran n’a pas revendiqué officiellement l’incursion du 6 octobre. Mais la télévision saoudienne Al-Arabiya a attribué à des chefs militaires iraniens, le général Kassem Suleimani, commandant en chef des Gardiens de la Révolution, et Jamaluddin Aberoumand, chef d’état major adjoint, des propos qui équivalent à une revendication officieuse. Selon Suleimani, le drone a pu photographier la centrale nucléaire de Dimona, située à moins de quarante kilomètres de Hébron, ainsi que divers autres sites stratégiques. Selon Aberoumand, l’opération aurait révélé « la faiblesse de la défense aérienne israélienne ».

 

L’Iran peut théoriquement envoyer un drone à partir de son territoire : le Shahed 129, dont l’existence a été dévoilée fin septembre, aurait une portée de 2000 kilomètres. Mais Téhéran dispose également d’une base avancée : le Liban, partiellement contrôlé par l’organisation chiite Hezbollah. Ce qui lui permet de déployer des drones plus rudimentaires et de plus faible portée, mais tout aussi efficaces pour des missions de reconnaissance ou des attaques ciblées, y compris contre des objectifs civils.

 

En 2006, pendant la Seconde Guerre du Liban, un drone iranien chargé d’explosifs avait été dirigé vers la région de Tel-Aviv, le cœur d’Israël. Il avait été intercepté et détruit quelques instants seulement après son lancement. En 2010, un autre drone avait survolé Dimona, avant d’être abattu. Aujourd’hui, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, affirme que son organisation dispose d’engins capables de mener des opérations « dévastatrices » en Israël. Notamment un bombardement de Dimona.

 

Cette « escalade » des chiites libanais ne fait que refléter celle de leur suzerain iranien. Depuis peu, Téhéran retourne en effet contre Israël l’argument de la guerre préventive. Jérusalem a toujours affirmé qu’il avait le droit de préserver ses intérêts vitaux en détruisant préventivement le potentiel nucléaire iranien. Téhéran déclare aujourd’hui que cette doctrine constitue elle-même une « agression » : et qu’il a donc le droit d’attaquer le dispositif israélien.

 

Gesticulation ou mobilisation réelle ? Le « syndrome d’octobre » – la tentation d’agir à la veille de l’élection présidentielle américaine du 6 novembre – semble peser sur l’Iran comme sur Israël ou les Etats-Unis. Ce syndrome serait d’autant plus net à Téhéran qu’une victoire du républicain Mitt Romney augmenterait la probabilité d’une action conjointe américano-israélienne contre l’Iran.

 

Comment l’Iran a-t-il pu se doter d’une industrie militaire capable de défier celle d’Israël ?  C’est l’aboutissement d’une longue passion. Mohamed Reza, le dernier chah, avait alphabétisé son pays, créé des industries civiles et militaires, acheté des armes, des équipements et des technologies à l’étranger, mis en place des politiques d’indépendance et d’autosuffisance dans tous les domaines. Et posé les premiers jalons en vue d’un armement nucléaire.

 

La République islamique, à partir de 1979, n’a fait que poursuivre et amplifier ces efforts. Sans couper totalement avec la haute technologie occidentale : 1,5 million d’expatriés ou d’enfants d’expatriés iraniens vivent aux Etats-Unis, notamment en Californie, la « terre sainte » de l’informatique. Bon nombre de ces Persans de l’extérieur travaillent pour des sociétés élaborant des systèmes ou des logiciels. Certains d’entre eux ont été persuadés de mettre leurs connaissances ou leur expérience au service de la République islamique, soit par nationalisme ou pour des motifs vénaux, soit encore à la suite de pressions exercées sur des membres de leur famille restés en Iran.

 

L’Iran est toujours absent sur plusieurs créneaux essentiels en matière d’industries de défense : notamment l’aéronautique. Mais il s’est doté, avec l’aide de pays communistes ou post-communistes (Corée du Nord, Russie..) d’un potentiel nucléaire et d’un arsenal balistique très complet : plusieurs milliers d’engins à très courte, courte, moyenne et longue portée (VSRBM, SRBM, MRBM et IRBM).

 

L’Iran dispose ainsi de missiles Katyusha plus ou moins perfectionnés, d’une portée de 30 à 75 kilomètres, y compris le Fajr-3 et 5, version locale du même produit ; de plusieurs centaines de missiles Zelzal-1 et 2 (une version entièrement revue du Katyusha), d’une portée de 150 à 200 kilomètres, et Shahab-1 et 2 (des copies du Scud soviétique), d’une portée oscillant entre 300 et 700 kilomètres ; d’un nombre indéterminé de Shahab-3 ou Zelzal-3 (copies du No-Dong nord-coréen, lui même élaboré à partir d’engins soviétiques de type SS-4), d’une portée de 1500 kilomètres ; d’un nombre indéterminé de Zelzal-4, d’une portée de plus de 1500 kilomètres, et de Shahab-4, 5 et 6 (dérivés, pour les versions les plus récentes, du SS-5 soviétique par l’intermédiaire du Taepo-Dong nord-coréen) d’une portée allant théoriquement de 1600 kilomètres à 8000 kilomètres.

 

Plusieurs missiles de portée intermédiaire ont en outre été entièrement conçus et construits en Iran même. Le Fajr-3 MIRV, qu’il ne faut pas confondre avec la roquette portant presque le même nom, est opérationnel : d’une portée de plus de 1000 kilomètres, c’est un engin « intelligent », capable de déjouer des missiles sol-air. Les missiles Ashura et Sajil, dont l’existence a été révélée respectivement en 2007 et 2008, d’une portée de 2000 kilomètres, n’en seraient encore qu’au stade expérimental : mais ils sont considérés comme des engins d’un niveau technologique élevé, pouvant être déployés et atteindre leur cible en très peu de temps, grâce à un combustible solide. Uzi Ruben, ancien directeur de l’Organisation israélienne de missiles balistiques (Imdo), précise : « Le Sajil ne ressemble en rien aux missiles nord-coréen, russe, chinois ou pakistanais… Il révèle un bond en avant des Iraniens en matière de missiles… Et confirme qu’ils sont en voie de se doter de missiles balistiques intercontinentaux. »

 

Les drones, technologie d’avant-garde, légère mais ultra-performante, complètent le dispositif. Et renforcent la menace. Pour les Israéliens – et pour les Américains -, c’est l’alerte rouge.

 

© Michel Gurfinkiel & Valeurs Actuelles, 2012

 

Michel Gurfinkiel est le fondateur et président de l’Institut Jean-Jacques Rousseau, et Shillman/Ginsburg Fellow au Middle East Forum.

 

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