La haute technologie au service d’une guerre apocalyptique entre le Bien et le Mal : c’est la stratégie de l’Iran chiite. La bataille actuelle entre le Hezbollah et Israël n’est sans doute qu’un prélude." Nous savions que le Hezbollah était bien équipé et bien entraîné. Mais ce que nous découvrons jour après jour dépasse nos estimations ". C’est ce que des officiers israéliens confient, le 8 août, au journal Yedioth Aharonoth. L’un d’entre eux ajoute : " Franchement, leurs meilleures unités valent les nôtres ".
Au fur et à mesure qu’ils progressent au Liban du Sud et s’emparent de positions ennemies, les Israéliens reconstituent le puzzle. Les combattants chiites disposent d’équipements individuels de très haute qualité : vestes pare-balles, casques, différents types de gants. Ils sont pourvus d’appareils de vision nocturne, de masques à gaz, d’équipements miniaturisés de radio et de téléphonie. Même variété et même qualité en ce qui concerne les armements : fusils-mitrailleurs, armes de point, lanceurs antichars. Les bunkers, parfois creusés plusieurs dizaines de mètres sous la surface du sol, sont des " cavernes d’Ali Baba d’électronique " : des caméras qui surveillent l’intérieur à celles qui balisent l’extérieur, en passant par un parc d’ordinateurs permettant de " hacker " l’intranet militaire israélien (c’est en s’immisçant dans les communications de Tsahal le 10 juillet que le Hezbollah aurait monté l’opération du 12, qui a déclenché la guerre actuelle).
Des équipes israéliennes examinent en détail les installations conquises et les équipements saisis. De nombreux matériels sont d’origine iranienne ou syrienne. Mais d’autres ont été acquis auprès des industries d’armement occidentales, russes ou d’Extrême-Orient. Par quels canaux ? A travers quelles transactions ? " Tout cela s’est fait en marge de la légalité internationale ", note un expert. " L’Iran a sans doute payé, mais aussi mis sur pied les filières. Si nous réunissons suffisamment d’éléments, nous pourrons peut-être démasquer des complicités dans des pays officiellement engagés dans la lutte antiterroriste ".
L’un des aspects les plus inquiétants de la montée en puissance du Hezbollah, c’est sa maîtrise du C3I (" commandement, contrôle, communication, intelligence ") : la gestion informatisée du champ de bataille. De la première à la seconde guerre d’Irak, en passant par les batailles de Bosnie, du Kosovo et d’Afghanistan et l’opération israélienne Rempart de 2002, les Occidentaux ont détenu une sorte de monopole dans ce domaine. Pour la première fois, des non-Occidentaux entrent en concurrence avec eux. Une évolution prévisible : dès 1999, deux chercheurs de la National Defense University américaine (NDU), Alvin Bernstein et Martin Libicki, avaient observé qu’" il n’y a pas de plus formidable égalisateur entre les nations que l’intelligence " et que des pays par ailleurs sous-développés pouvaient réaliser en quelques années des percées décisives en haute technologie et en informatique, à condition de disposer de quelques milliers de cerveaux rompus aux mathématiques modernes. Sept ans plus tard, la prédiction se réalise : c’est le C3I qui permet au Hezbollah de continuer ses tirs de roquettes et de missiles après un mois de guerre, en dépit d’une puissance de feu israélienne nettement supérieure ; et même de lancer des engins de plus en plus puissants.
Aux roquettes Katyoucha de fabrication russe, balayant la Galilée sur une profondeur d’une vingtaine de kilomètres, ont succédé les missiles iraniens Fajr-3 et 5, capables d’atteindre Haifa, à trente-cinq kilomètres de la frontière libanaise et même Beith-Shean et Hadera, à près de quatre-vingt kilomètres. Les victimes civiles se multiplient : parmi elles, ironie du destin, de nombreux Arabes israéliens, notamment à Haifa et en Basse-Galilée. Un demi-million de personnes se sont repliées vers le centre du pays, jusqu’à présent épargné. Mais pour combien de temps ?
Le 7 août, l’aviation israélienne procédait à de nombreux vols à basse altitude au-dessus du pays. " Simple exercice ", a commenté l’état-major. Les médias, où les experts militaires ne manquent pas, ont été plus loquaces : les appareils s’entraînaient vraisemblablement en vue de mission d’interception, non pas contre d’autres avions mais contre d’éventuels engins à longue portée, susceptibles de frapper la région de Tel-Aviv et de Jérusalem. Un peu plus tôt dans la journée, l’aviation avait en effet abattu un drone de fabrication iranienne, de type Marsad (" Embuscade "), alors qu’il pénétrait dans l’espace aérien israélien. Cet appareil sans pilote exécute le plus souvent des tâches d’espionnage ou de repérage en vue de bombardement ou d’opérations au sol. Mais il peut être transformé en bombe volante " intelligente ", avec des charges de plusieurs dizaines de kilogrammes d’explosifs.
L’autre arme de choc du Hezbollah, ce sont les Zelzal-1, 2 et 3 (" Séisme ") : des missiles iraniens d’une portée moyenne de deux cents kilomètres, susceptibles de frapper tout Israël jusqu’à l’orée du Néguev, c’est-à-dire 95 % de la population. Le Hezbollah est équipé de Zelzal-1 et 2 depuis le mois de mars. Un Zelzal au moins a été abattu par l’aviation israélienne au début de la guerre actuelle.
C’est pour mettre un terme à cette escalade que la France et les Etats-Unis tentent de faire ratifier par le Conseil de sécurité de l’Onu une résolution sur l’arrêt des combats. Leur texte initial, accepté par Israël, a été rejeté par le gouvernement libanais, où siègent deux ministres membres du Hezbollah. En début de semaine, une seconde version était en préparation. Mais certains experts – et non des moindres – estiment que c’est peine perdue. Dans un éditorial publié dans le Wall Street Journal du 8 août, l’orientaliste américain Bernard Lewis, professeur émérite à Princeton, met en garde contre la logique " apocalyptique " du président iranien Mahmoud Ahmadinejad, le suzerain du Hezbollah .
Selon Lewis, un danger particulier entoure le 22 août, c’est-à-dire le 27 rajab de l’année islamique 1427 : la date où les musulmans commémorent l’événement le plus mystérieux de la vie de Mahomet, son " voyage nocturne " et miraculeux jusqu’à une " Mosquée Lointaine ", qui ne serait autre que Jérusalem. Le président iranien Ahmadinejad a annoncé qu’il répondrait ce jour-là aux mises en demeure de l’Onu sur le programme nucléaire iranien. " Il y a dans l’islam, tout comme dans le judaïsme et le christianisme, des croyances relatives à un conflit de nature cosmique entre le Bien et le Mal qui prendra place à la fin des temps ", note Lewis. " Ahmadinejad et les autres dirigeants iraniens croient que ce conflit a déjà commencé, et qu’il se dirige vers sa conclusion ".