LaTribu Ka prône un racisme " afrocentriste " . En s’attaquant à la communauté juive, elle cherche peut-être à consolider son image auprès des médias. Un dérive qui inquiète le ministère de l’Intérieur et la justice.La Tribu Ka (TK) a décidé d’en découdre avec les " milices juives ". Premier acte le 22 mai. Un commando de ces " SS africains " – visages noirs, uniformes de cuir noir – investit un gymnase parisien specialisé dans le krav-maga, le sport de combat de l’armée israélienne : dans l’idée, un peu naïve, que les " durs " de la communauté juive s’y entraînent nécessairement. En fait, ils n’y trouvent que des amateurs, de toutes origines, qui ne comprennent rien à l’incursion.
Six jours plus tard, le 26 mai, seconde opération. C’est un dimanche : le jour où la rue des Rosiers, dans le Marais, est sillonnée par les touristes, les promeneurs gays venus en voisins, et les adolescents juifs des deux sexes. La Tribu Ka déambule, compacte, menaçante. Elle se répand en insultes antisémites. Et en provocations à l’égard des " pédés " de la Ligue de défense juive (LDJ) et du Bétar, les deux organisations qu’elle prétend " traquer ". Bredouille à nouveau, elle s’en va au bout d’une vingtaine de minutes.
Un libraire s’indigne : " Ca me rappelle la République de Weimar, quand les nazis paradaient dans les quartiers juifs de Berlin. On n’a jamais vu une pareille chose en France ". Les passants se disent " suffoqués ". La police, pour qui la rue des Rosiers est un quartier très " sensible " depuis les attentats de 1982, a été rapidement alertée et commence à se déployer. Surprise : la Tribu Ka revient. " Une erreur ", commente un responsable de la sécurité du quartier. " Cela a conduit à des interpellations, à des identifications. Pas de poursuites en flagrant délit, puisqu’ils n’étaient pas armés ".
La TK est issue du mouvement " afrocentriste ", la tendance la plus radicale du nationalisme noir. Un livre de Géraldine Faes et Stephen Smith paru en avril dernier, Noirs et Français ! (Editions Panama) consacre plusieurs pages à ce courant d’opinion.
A l’origine : un universitaire sénégalais, Cheikh Anta Diop (1923-1986), qui affirme que l’Egypte pharaonique était négro-africaine. Puis un universitaire américain (blanc), Martin Bernal, professeur émérite à Cornell, qui reprend et élargit cette thèse dans Black Athena (1985), un livre où il attribue des origines africaines et moyen-orientales à la civilisation hellénique classique. Mais si les hypothèses de Diop et de Bernal sont dignes d’intérêt, la " vulgate " que certains ont tiré de leurs œuvres peut surprendre. Des organisations comme Khepera, Ankh, Africamaath ou l’Association pour l’observance du Kwanzaa, très actives en France, présentent l’Egypte ancienne " noire " comme une société parfaite ayant résolu tous les problèmes économiques, sociaux, religieux… ou sexuels. A un stade ultérieur, on en vient, comme la Tribu Ka, à un " suprématisme noir " : les Noirs ou " Kémites " seraient une race humaine supérieure, qui doit se garder de tout métissage et combattre ses ennemis, notamment les juifs. Difficile de ne pas y voir dans ce discours une transposition – paradoxale – de l’hitlérisme.
La TK a été fondée par un homme de vingt-cinq ans, Strasbourgeois de parents béninois, qui se fait appeler Kémi Séba (" l’Etoile noire "). Ses héros ? Dieudonné, qu’il affecte de " mépriser " mais qui lui " prête gentiment " son théâtre, La Main d’Or, pour un meeting. Et surtout Youssouf Fofana, l’organisateur présumé de l’enlèvement et du supplice d’Ilan Halimi en février dernier.
C’est d’ailleurs à partir de ce drame que la Tribu Ka fait une fixation sur les " milices juives ". Elle commence par diffuser un communiqué où elle promet des représailles s’il arrivait " quelque chose " à Fofana. Elle prétend ensuite que ces " milices " ont agressé des Noirs lors de la manifestation à la mémoire d’Halimi, boulevard Voltaire. " Je crois qu’ils ont désigné la LDJ et le Bétar comme des adversaires afin de se valoriser et de se doter d’une bonne image médiatique ", note le député européen Patrick Gaubert, président de la Ligue contre racisme et l’antisémitisme (Licra).
La LDJ et le Bétar prônent " l’autodéfense " contre l’antisémitisme. En pratique, ces organisations – très différentes l’une de l’autre – n’ont rempli que des missions classiques de service d’ordre. Mais le développement des violences antijuives dans les banlieues, depuis six ans, renforce leur " aura ". Comment réagiront-elles aux provocations des " Kémites " ? La Tribu Ka a promis de revenir rue des Rosiers " tous les dimanches ". La LDJ a assuré que si c’était le cas, elle serait là pour " la recevoir ". Mais la police et la justice ne resteront vraisemblablement pas inactifs non plus.