Michel Gurfinkiel

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Syrie/ Qui faut-il croire ?

Deux hommes d’affaires syro-américains sont aujourd’hui à la une des médias israéliens. Ils parlent de paix, l'un et l'autre. Mais pas de la même façon…

Deux hommes d’affaires syro-américains sont aujourd’hui à la une des médias israéliens. Le premier, Ibrahim Suleiman, dit Abe Suleiman, est le PDG de Computer Operations, une filiale du puissant groupe financier international Ambac. Comme la famille Assad, au pouvoir à Damas depuis 1969, il appartient à la minorité alaouite (10 % environ de la population syrienne). Cela lui permet de jouer un rôle d’intermédiaire entre son pays d’origine et son pays d’adoption, tantôt en se présentant comme un ami personnel de Hafez puis de Bachar el-Assad, tantôt en jouant le rôle d’un homme de bonne volonté et d’un militant de la paix. Depuis 2003 ou 2004, il multiplie les contacts avec les Israéliens. Selon le journal Haaretz, il aurait joué un rôle clé dans l’élaboration, en 2004, d’un projet d’accord de paix syro-israélien, avec l’aide d’un militant pacifiste juif américain, Geoffrey Aronson, et de l’ancien directeur général du ministère des Affaires étrangères, Alon Liel, proche du mouvement Shalom Akhshav (La Paix maintenant). Le 12 avril dernier, il a pu prendre la parole devant la Knesseth pour défendre son plan de paix, à l’invitation du parti d’extrême-gauche Meretz. Alon Liel presse aujourd’hui le gouvernement Olmert d’accepter la main que la Syrie tendrait à Israël à travers Suleiman : « Trop de signes indiquent qu’Assad veut négocier et qu’il souhaite parvenir à un accord définitif. Il serait irresponsable de la part du premier ministre de ne pas en tenir compte ».

L’autre homme d’affaires syro-américain se nomme Farid Ghadry. C’est un musulman sunnite, comme 50 % de ses compatriotes. Sa famille, originaire d’Alep dans le nord de la Syrie, s’installe au Liban en 1962. Lui-même s’établit aux Etats-Unis en 1975, au moment où son premier pays d’accueil sombre dans la guerre civile, acquiert la nationalité américaine et fait fortune en créant, revendant et rachetant de nombreuses sociétés, du high tech à l’agro-alimentaire et aux recherches minières. Décidant, au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, de s’engager pour la démocratisation du monde arabe en général et de la Syrie en particulier, il crée le Parti syrien pour la Réforme en 2003, un parti libéral d’inspiration laïque, puis la Coalition démocratique syrienne en 2004, plate-forme pour tous les opposants au régime Assad, y compris certains islamistes. Et milite d’emblée pour la paix avec Israël, tout en affirmant que le Golan fait partie du territoire national syrien et devra revenir à la Syrie après la chute de la dictature Assad. De nombreux Israéliens ont exigé, après l’invitation d’Ibrahim Suleiman à la Knesseth, que Ghadry bénéficie d’un traitement analogue. De fait, il sera entendu par la Commission des Affaires étrangères et de la Défense du parlement israélien le 11 juin. Dans une interview publiée le 27 mai par le journal Yedioth Aharonoth, il déclare : « Rien n’est plus important qu’une paix entre Israël et la Syrie. Mais Israël irait au désastre en faisant la paix avec un dictateur tel que Bachar el-Assad ». Meir Dagan, le directeur du Mossad, partage ce point de vue : témoignant devant le cabinet israélien, il a affirmé début mai que « l’inititiative de paix syrienne » n’était qu’une « opération tactique » destinée à gagner du temps en vue de préparer une nouvelle guerre.

Qui faut-il croire, Suleiman ou Ghadry ?

Première observation : on ne dispose pas peut mettre sur le même plan un Ibrahim Suleiman, objectivement au service d’un dictateur, et un Farid Ghadry, qui l’a toujours combattu.

Deuxième observation : on ne dispose pas d’informations détaillées sur la fortune personnelle de Suleiman ; celle de Ghadry a fait l’objet d’investigations diverses et de déclarations de l’intéressé, qui se sont révélées exactes.

Troisième observation : la démarche de Suleiman ne peut qu’être soutenue par une opinion publique américaine et européenne lassée des guerres d’Afghanistan et d’Irak, et prête à tous les apaisements ; celle de Ghadry va à l’encontre de cette opinion.

Quatrième observation : Suleiman ne parle de paix syro-israélienne que lorsque c’est l’intérêt du régime Assad, vers 2003 et 2004 quand ce régime semble être aux abois ou aujourd’hui quand il est menacé d’un tribunal international sur l’assassinat du premier ministre libanais Rafic Hariri ; alors que Ghadry a toujours fait de cette paix son objectif.

Cinquième observation : tout pacifisme est respectable, mais doit être jugé sur son contexte, ses conséquences et ses résultats. Vouloir la paix européenne en 1913, avec Jaurès et Liautey, ce n’est pas la même chose que la vouloir en 1938, lors de Munich. Sur trente ans, le bilan du pacifisme israélien (La Paix Maintenant et ses épigones) est catastrophique. Et toute cause que ce pacifisme épouse – en l’occurrence, celle de Suleyman – est suspecte.

© Michel Gurfinkiel, 2007

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