L'ex-colistière de John McCain s’oppose au « gel des implantations » réclamé par l’administration Obama. Ce n’est pas l’électorat juif, trop marqué à gauche, qu’elle entend séduire, mais l’électorat « évangélique ». Soit 20 à 25 % de l’opinion américaine.
Le monde entier, à commencer par les Etats-Unis de Barack Obama et la France de Nicolas Sarkozy, prétend interdire aujourd’hui à Israël de construire de nouvelles unités d’habitations au-delà de la « ligne verte » : la ligne de démarcation des années 1949-1967. Même à Jérusalem, où cela est allé de soi pendant plus de quarante ans. Même dans le quartier de Gilo, érigé sur un ancien no man’s land. Le monde entier ? Non. Il y a au moins une exception cinglante : Sarah Palin, qui a été le 11e gouverneur de l’Alaska de décembre 2006 à juillet 2009. Et la colistière du républicain John McCain aux élections présidentielles américaines de 2008.
Le 17 novembre, Sarah Palin était interviewée par Barbara Walters sur la chaîne de télévision ABC. D’un air pincé, Walters lui demande ce qu’elle pense du « gel » des nouvelles localités israéliennes, souhaité par l’administration Obama : « Je ne suis pas d’accord avec l’administration sur ce point », répond Palin. « Je pense que les nouvelles localités doivent continuer à se développer, parce que la population d’Israël va continuer à croître. De plus en plus de Juifs vont affluer en Israël dans les jours, les semaines et les mois qui viennent. Je ne pense pas que l’administration Obama ait le moindre droit de dire à Israël que les nouvelles localités juives ne peuvent pas s’étendre ». Walters insiste : « Même les localités situées en territoire palestinien ? » Palin : « Je suis contre le gel des nouvelles localités juives ».
Ce n’est un secret pour personne, l’ex-gouverneur de l’Alaska compte se présenter à l’investiture républicaine en 2012, face à un Obama qui briguerait un second mandat. Faut-il croire, pour autant, qu’elle tient de tels propos dans l’espoir de se concilier l’électorat juif ? Non point. Les Juifs américains sont de tradition démocrate. 77 % d’entre eux ont voté Obama en 2008. Il est peu vraisemblable qu’ils changent d’idées en moins de trois ans.
Mais Palin a un autre électorat en tête. Celui dont elle est issue et sur lequel elle va s’appuyer dans sa longue marche vers la Maison Blanche. Un électorat protestant conservateur, passionnément attaché à la Bible. C’est à lui que Palin s’adressait sur ABC, par-dessus Barbara Walters. En martelant des thèmes à la fois politiques et théologiques qui lui sont familiers.
Le christianisme est fondé sur un paradoxe. D’une part, il se réclame du peuple d’Israël et de la tradition biblique. D’autre part, il se démarque de ce peuple, et superpose une Seconde Bible, rédigée en grec – le Nouveau Testament -, aux Ecritures hébraïques. Dès les origines de l’Eglise, beaucoup de chrétiens ont été tentés par une simplification radicale consistant à rejeter l’Ancien Testament pour ne garder que le Nouveau. Marcion, un prédicateur d’Asie mineure, préconisait cette solution dès le IIe siècle. Mais les grandes chrétientés historiques, qu’il s’agisse de l’orthodoxie, du catholicisme ou du protestantisme, ont refusé d’en aller jusque là. Elles ont préféré assumer leur relation paradoxale avec le judaïsme, en se fondant sur un texte de saint Paul, L’Epître aux Romains. « Les Juifs n’ont jamais été rejetés par Dieu », y est-il affirmé. Leur effacement actuel n’est que provisoire, et n’a d’autre but que de faciliter la conversion des nations à la foi chrétienne. A la fin des temps, ils « reviendront à Dieu », et retrouveront le rang « suprêmement élevé » qui est le leur. En attendant, les chrétiens doivent savoir que ce sont les Juifs qui les « soutiennent », comme les racines soutiennent un arbre.
Dans la pratique, cette doctrine a été interprétée et appliquée de multiples manières depuis vingt siècles, face à des retours incessants du refoulé marcionite. Elle justifie tantôt une certaine tolérance vis à vis des Juifs, et tantôt des campagnes en vue de les convertir. La Réforme protestante, qui met la lecture de la Bible hébraïque au cœur de la vie religieuse chrétienne, lui redonne une grande acuité à partir du XVIIe siècle : notamment en Hollande et dans les pays anglo-saxons. Au début du XIXe siècle, un mouvement protestant conservateur né en Irlande et en Angleterre, les Frères de Plymouth, affirme à la fois que l’Election d’Israël est un fait religieux en soi, distinct du christianisme, et que la restauration nationale d’Israël est la condition préalable à l’instauration du Royaume de Dieu sur toute la terre. La mission des chrétiens, dès lors, est d’aider les Juifs à pratiquer leur religion et à reprendre possession de leur terre.
Les Frères de Plymouth sont les ancêtres directs des « chrétiens sionistes », tels qu’Arthur Balfour, Orde Wingate ou Harry Truman, qui ont contribué à la création d’Israël. Mais aussi des « évangéliques », le mouvement populiste chrétien qui toucherait actuellement, à travers ses églises, ses télévisions, ses sites internet, de 20 à 25 % de l’électorat américain. Pour cette mouvance, la guerre des Six Jours, en 1967, marque le début de la Fin des Temps : Dieu est intervenu directement dans l’histoire en rendant toute la Terre sainte, y compris Jérusalem, à Son peuple, puis en accélérant le retour des Juifs, y compris ceux de l’ex-Union soviétique ou d’Ethiopie. Plus les Juifs s’installent dans la Terre d’Israël, plus la Rédemption est proche. C’est à cela que Sarah Palin fait allusion quand elle dit que « de plus en plus de Juifs vont bientôt affluer en Israël ». Et quand elle s’oppose à tout « gel » des nouvelles localités.
Le livre autobiographique que vient de publier l’ex-gouverneur de l’Alaska caracole en tête des ventes dans les librairies américaines : ce qui explique l’interview sur ABC. L’Amérique, qui reste une nation chrétienne dans son immense majorité, a été troublée par les propos promusulmans que Barack Obama a cru devoir tenir pendant les six premiers mois de sa présidence. Elle se tourne donc, au moins par curiosité, vers une chrétienne militante comme Sarah Palin. Et n’est pas insensible à son sionisme, non moins militant.
© Michel Gurfinkiel, 2009