En Egypte, le pouvoir semble tenir face à la rue. En dépit des erreurs de calcul américaines.
Certaines révolutions réussissent. D’autres échouent. Tout dépend de la réaction, face aux premiers désordres, des dirigeants en place. S’ils se divisent, si une partie d’entre eux faiblit et se rallie à la contestation, le régime tombe. S’ils restent unis, s’ils font face, le régime survit. La chute du chah d’Iran, en 1979, illustre le premier cas. Le maintien de la dictature communiste en Chine, après les événements de Tian Anmen, en 1989, illustre le second.
En Tunisie, le régime Ben-Ali n’est pas tombé seulement sous la pression de la rue, comme on le prétend, mais à la suite d’un coup d’Etat mené tambour battant, le 13 janvier, par le général Rachid Ammar, chef d’état-major général des forces tunisiennes.
En Egypte, le régime Moubarak tient toujours, après quinze jours de manifestations et de scènes de violence. Parce qu’il s’est assuré la fidélité de l’armée et des services secrets. Ceux-ci ont méthodiquement repris en main la situation au Caire et dans les grandes villes. Certes, des opposants se sont retranchés sur la place Tahrir, au cœur de la capitale. Mais l’armée les encercle. Comme l’armée chinoise avait pris au piège, voici vingt-deux ans, les dissidents de la place Tien Anmen. Omar Suleiman, l’ancien chef des services secrets dont Hosni Moubarak a fait son vice-président et donc son héritier présomptif le 29 janvier, préfère sans doute obtenir une reddition en douceur. Mais il ne reculera pas, si nécessaire, devant la manière forte.
L’inconnue, c’est l’Amérique. L’ambassade américaine à Tunis semble avoir poussé Rachid Ammar à renverser Ben-Ali. En Egypte, des contacts analogues ont échoué. Mais l’administration Obama revient à la charge : en prenant position publiquement pour une « transition démocratique », elle tente de semer le doute chez les militaires et dans les services secrets. Il y a en effet deux menaces implicites dans de telles déclarations : ne plus coopérer avec le régime s’il procède à une répression trop brutale ; et ne pas accorder d’asile à ses dirigeants si la révolution l’emporte.
Pourquoi l’Amérique adopte-t-elle une politique si manifestement contraire à ses intérêts nationaux ? Renverser le régime Ben-Ali, quelles qu’aient été ses carences, c’était déstabiliser les autres pays arabes pro-occidentaux. Renverser le régime Moubarak, quels que soient ses défauts, ce serait accélérer le mouvement et abandonner, en fait, l’ensemble du Proche et du Moyen-Orient à l’Iran et à ses alliés. Les Etats-Unis perdraient alors l’un de leurs principaux atouts géopolitiques : le contrôle des plus grandes réserves mondiales d’hydrocarbures.
Cette situation absurde relance un débat sur Barack Hussein Obama. Serait-il véritablement, comme beaucoup d’Américains le pensent, un « président mandchourien » ?
Cette expression, qui fait partie aujourd’hui du vocabulaire politique américain, renvoie à un roman de politique-fiction de Richard Condon, The Manchurian Candidate (Le Candidat de Mandchourie), paru en 1959. Puis à deux films portant le même titre : par John Frankenheimer d’abord, en 1962, avec Frank Sinatra dans le rôle principal ; et par John Demme ensuite, en 2004, avec Denzel Washington.
Thème : la manipulation du système démocratique par des ennemis de la démocratie. Dans le roman de Condon et le premier film, il est question de soldats américains capturés par les Rouges pendant la guerre de Corée, robotisés à travers un « lavage de cerveau » et renvoyés aux Etats-Unis pour y participer à un coup d’Etat prosoviétique.
Dans le second film, les événements se déroulent sur fond de guerre d’Irak. Et les manipulateurs ne sont plus les communistes, mais une société d’armement américaine, qui entend instaurer une dictature d’extrême droite.
Deux présidents américains ont été élus, au cours des quarante dernières années, dans des conditions qui rappellent le roman de Condon. Jimmy Carter, d’abord, président de 1977 à 1981, médiocre gouverneur d’un Etat du Sud, pris en main par un universitaire ambitieux d’origine est-européenne, Zbigniew Brzezinski, lui même lié à un cartel d’hommes d’affaires et de politiques américains, européens et japonais. On sait quel a été son bilan. Il a perdu l’Iran. Il s’est laissé surprendre par les Soviétiques dans la corne de l’Afrique, dans les Caraïbes, en Afghanistan, en Pologne, dans les négociations stratégiques Est-Ouest. Et sous son administration, l’économie américaine a connu la plus longue récession de la deuxième partie du XXe siècle.
Le second « président mandchourien », c’est Barack Obama. Un homme politique jeune, sans fortune, au profil personnel ambigu (incertitudes sur les circonstances exactes de sa naissance, sur sa nationalité, sur son identité religieuse), lié à l’extrême gauche, mis en orbite dès 2004 en tant que sénateur de l’Illinois (l’un des Etats les plus corrompus des Etats-Unis). Puis lancé, avec un soutien médiatique immédiat et massif, en tant que candidat aux primaires démocrates de 2008. Et finalement élu, au terme de la campagne la plus chère de l’histoire américaine, à la présidence. Son bilan, sur deux ans à peine, est déjà préoccupant, ce qui lui a valu une défaite aux élections de la mi-mandat, en novembre dernier. Ses maladresses actuelles dans le monde arabe pourraient faire de lui un président plus calamiteux encore que Carter.
Bien entendu, on peut invoquer, dans les deux chefs de l’Exécutif, la simple incompétence, « ce facteur sous-estimé des affaires humaines », comme disait Churchill. Mais on ne peut écarter l’hypothèse de manipulations. Par des agents d’influence soviétiques, dans le cas de Carter et de Brzezinski. Par l’islamisme et d’autres puissances ou mouvements qui ont intérêt à un déclin irrémédiable des Etats-Unis et du monde occidental, dans le cas d’Obama. Les faits sont les faits. Le moment vient où ils parlent d’eux-mêmes.
© Michel Gurfinkiel, 2011