Un testament secret d’Adolf Hitler, saisi en 1945, dormait dans les archives soviétiques. Son contenu refait soudain surface… et déclenche des événements imprévisibles. C’est le scénario de ‘88’, le nouveau thriller de Pierre Rehov.
INTERVIEW : MICHEL GURFINKIEL
Michel Gurfinkiel. Votre roman est-il un thriller, une réflexion politique ou un essai philosophique ?
Pierre Rehov. Je sais que ce genre de cocktail ne va pas de soi. La logique d’un thriller, c’est de tenir le lecteur hors d’haleine et de le faire rêver. Ce qui exclut, a priori, les développements philosophiques. A moins que la question philosophique soit la clé même du thriller. C’est ce qui a fait le succès des grands romans à caractère utopique ou dystopique, comme Le Meilleur des Mondes ou 1984. Ou encore celui de ce qu’on appelait autrefois la science-fiction, et qu’on a rebaptisé depuis longtemps « speculative fiction », fiction spéculative. Le fameux roman de Philip K. Dick, Le Maître du Haut Château, thriller par excellence, repose ainsi entièrement sur une question non seulement philosophique mais métaphysique, l’existence de mondes parallèles où la réalité historique est différente de la notre.
Je me suis lancé à mon tour dans ce genre littéraire parce que j’en avais besoin. Je ne suis pas religieux au sens classique du terme, mais je m’interroge sur le sens réel de l’existence. Et je suis arrivé à des conclusions personnelles que j’ai envie de partager et qui, j’en ai l’intuition, répondent aux attentes de beaucoup de gens.
Par exemple ?
J’ai fini par me convaincre que si l’âme existe (et sur ce point, désolé pour les purs matérialistes, je n’ai pas beaucoup de doutes), elle voyage de corps en corps. Autrement dit, j’aurais tendance à croire à la réincarnation, une idée qui va de soi dans les cultures d’Orient et d’Extrême-Orient, et qu’on retrouve d’ailleurs dans la Kabbale hébraïque : bref, la plus répandue de toutes les opinions ou croyance sur la vie après la mort.
Dans mon précédent roman, Ted, j’ai voulu expliquer la psychopathologie d’un tueur en série, Ted Bundy, par le karma. Bundy, dans mon roman, serait la « réincarnation » d’un professeur de physique quantique envoyé au Goulag dans les années trente et revenu se venger d’une femme qui aurait participé à sa déchéance. Dans 88, j’imagine qu’une secte néo-nazie croit à la possibilité d’une réincarnation d’Adolf Hitler.
Le Goulag, les néo-nazis… Le totalitarisme reste d’actualité au XXIe siècle ?
Au XXIe siècle, le communisme et le nazisme ont toujours leurs adeptes, en dépit des catastrophes que ces deux idéologies ont provoquées — et de leurs échecs. Il en va de même de la troisième grande idéologie totalitaire moderne, l’islamisme. Il mène partout à des impasses, à des atrocités, mais il ne cesse de renaître de ses cendres.
Dans 88, vous évoquez des liens historiques directs entre l’Allemagne nazie et terrorisme islamiste…
En langage d’aujourd’hui, la fanatisation islamiste est souvent un « meme » de la fanatisation nazie. Dans ma vie de reporter, j’ai été amené à rencontrer de nombreux terroristes ou ex-terroristes au Moyen-Orient. Je me rappelle en particulier d’un candidat au terrorisme suicide âgé de seize ans qui me disait avec ferveur que sa mère aurait été heureuse s’il était mort en « martyr », car il aurait rejoint à coup sûr les soixante-douze vierges du paradis… Cela m’a rappelé ces gosses de quatorze ans endoctrinés par la Hitlerjugend qui se battaient encore pour le Führer à Berlin en avril 1945.
Derrière ce mimétisme, il y a une filiation. Le premier nationaliste palestinien, Hadj Amine Al Husseini, grand mufti de Jérusalem était un nazi convaincu, admirateur d’Hitler — qui lui avait accordé une audience quand il s’était réfugié à Berlin, en 1941 — et ami d’Himmler. Sa complicité dans la Shoah est établie. De nombreux témoins, Albert Speer entre autres, ont relaté qu’Hitler admirait les « mahométans », allant même jusqu’à regretter que Charles Martel les ait repoussés à Poitiers. D’après l’historien René Alleau, Himmler conservait un Coran à côté de Mein Kampf, sur sa table de chevet. De nombreux nazis, Aloïs Brunner par exemple, ont trouvé refuge après la guerre en Syrie et en Egypte, et se sont convertis à l’islam.
Cette convergence s’explique en partie par des considérations stratégiques : l’ennemi de mon ennemi est mon ami. Or l’Allemagne et l’islam activiste avaient les mêmes ennemis : la France et la Grande-Bretagne. Mais il y a également une corrélation culturelle à divers niveaux, la même fascination, dans une partie au moins des sociétés musulmanes, pour la force, la violence, la dictature. Ce qui s’est retrouvé d’ailleurs dans une autre alliance totalitaire, entre communisme et nationalisme arabe ou iranien, prépondérante après 1945. Et qui a réapparu plus récemment à travers ce que mon ami Alexandre del Valle appelle les «rouges-bruns-verts », et d’autres « l’islamo-gauchisme ».
Vous faites également allusion dans votre roman à divers mouvements néo-nazis aux Etats-Unis, en Allemagne, en Russie…
Aux Etats-Unis, les démocrates brandissent l’épouvantail néonazi pour se faire pardonner leur propre indulgence envers des mouvements totalitaires de gauche, tels que BLM ou Antifa. En fait, quand on regarde les chiffres de près, le néonazisme américain relève de l’anecdotique. Il y a des gens que les rituels nazis, genre grande messe à Nuremberg, fascinent, et qui se retrouvent sur quelques sites internet. Mais le Daily Stormer, le principal media neo-nazi local, n’a pratiquement pas d’audience, et le Ku Klux Klan, qui gravite aujourd’hui dans les mêmes milieux, n’affiche plus que quelques milliers membres, contre 4 millions dans les années 1920. Le cas allemand est peut-être plus inquiétant, notamment dans l’ex-RDA communiste. Sans parler de la Russie où une partie des ultra-nationalistes n’hésitent pas à se réclamer à la fois de Staline et de Hitler.
Une grande partie de l’action de 88 se déroule en Indonésie, pays musulman de 200 millions d’habitants dont on parle finalement assez peu en France.
Une intrigue sur le terrorisme qui se déroule en Libye ou en Syrie, cela aurait été du déjà vu. J’ai donc préféré un autre contexte, plus exotique, mais non moins plausible. L’Indonésie est le plus grand pays musulman de la planète en nombre, un paradis pour le tourisme compte tenu des traditions locales d’hospitalité ou des paysages divers et magnifiques. L’ouest du pays a été dévasté par le tsunami de 2004 — qui a fait plus de 150 000 victimes — avant d’être reconstruit grâce à l’aide internationale. Ce qui n’a pas empêché des groupes extrémistes et des organisations terroristes comme le Gam et la Jemah Islamiya (responsable de l’attentat de Bali en 2002) d’y proliférer, de créer des milices de la vertu similaires à celles de l’Iran, et de tenter d’y imposer une charia rigide.
Vous n’êtes pas tendre avec certaines ONG à caractère humanitaire…
J’ai le plus grand respect pour le travail de la plupart des ONG, mais certaines sont en effet manipulées à des fins mercantiles ou politiques. La vertu est souvent le meilleur habit du vice.
Si vous aviez à choisir entre l’écriture et l’action ?
Vous me demandez si je me sens mieux assis devant l’écran de mon ordinateur face à une page blanche ou sur le terrain, avec vingt kilos de casque kevlar et de gilet pare-balle ? Sur le plan physique, je vous laisse deviner. Au niveau psychologique, j’ai envie de répondre les deux, car je considère mes deux activités comme indissociables. Le romancier américain Norman Mailer, que j’admire beaucoup et que j’ai eu l’honneur de rencontrer autrefois, m’a confié que l’écriture se nourrissait d’adrénaline. Je confirme. Si je reste trop longtemps loin du terrain, j’ai l’impression que mon imagination se tarit.
88, de Pierre Rehov. Cosmopolis, 448 pages, 19,95 euros.
© Michel Gurfinkiel et Valeurs Actuelles, 2021