Michel Gurfinkiel

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Madagascar/ La nouvelle donne

A l’arrière-plan des péripéties malgaches : l’éternelle rivalité des Mérinas et des autres ethnies. Trente ans après le désastre de 1972, Ravalomanana n’a pas le droit à l’erreur.La visite de Dominique de Villepin à Antananarivo,  début juillet, a mis fin aux rumeurs. Tout au long de la "guerre des deux présidents" – le chef d'Etat sortant, Didier Ratsiraka, et son successeur, Marc Ravalomanana – , on a en effet chuchoté à Madagascar que la France favorisait le premier. Par " solidarité socialiste ", a-t-on d’abord affirmé, tant que Lionel Jospin était aux affaires ; ou encore pour éviter une  " mainmise " américaine sur la Grande Ile…

De fait, Paris n’avait pas voulu trancher entre les deux candidats après les élections du 14 décembre 2001, ni même après la proclamation officielle de la victoire de Ravalomanana par la Cour suprême malgache, le 27 février : ce qui revenait à conforter – implicitement – la position de Ratsiraka. Puis, dans les négociations qui se sont déroulées en avril et en juin à Dakar, le quai d’Orsay a sans cesse prôné une solution de compromis : retraite honorable pour le président sortant, entrée de ses partisans dans un gouvernement de " réconciliation nationale ", nouvelles élections à brève échéance. Enfin, Paris n’a accordé à Ravalomanana la satisfaction d’une " reconnaissance officielle " qu’au dernier moment : en se retranchant derrière l’usage selon lequel la République reconnaît les Etats, mais non les gouvernements.

Pourquoi tant de ménagements ? L'ère Ratsiraka – en gros, une trentaine d'années, de 1972 à 2002 – n’a pas été faste pour les intérêts français à Madagascar. Même si ce régime a mieux fini qu’il n’avait commencé.

La Grande Ile avait connu, en 1960, une décolonisation modèle : le premier président de la République malgache indépendante, Philibert Tsiranana, de sensibilité social-démocrate, estimait que son pays ne pouvait se développer qu’en maintenant ses liens avec l’ancienne métropole. La langue française restait celle de l’administration et de l’enseignement, à parité avec le malgache. Les résidents français – cinquante mille sur une population d’un peu plus de cinq millions d’habitants – conservaient leurs biens et leurs fonctions. Les sociétés françaises ou mixtes étaient encouragées à poursuivre ou à développer leurs activités. Cela n’empêchait pas la mise en place, parallèlement, d’institutions proprement malgaches : y compris dans le domaine économique, où Tsiranana, en bon compagnon de route de la SFIO, prônait un " socialisme humaniste ", fondé sur des coopératives et une planification d’Etat.

Les résultats, dix ans plus tard, étaient probants. Le PNB avait doublé, la dette était inexistante, le budget équilibré. La production de riz, principale activité agricole, avait crû de 50 %, passant de 1,2 millions de tonnes à 1,9 millions. Le coton, géré par la société française CFDT, avait octuplé, de 2100 à 19000 tonnes. L’industrie, qui avait progressé en moyenne de 15 % par an, employait un demi-million de personnes en 1971, contre 200 000 en 1960. Une prospérité qui contrastait avec la situation prévalant dans la plupart des anciennes colonies. " L’Afrique noire est mal partie ", avait affirmé l’économiste René Dumont dès 1964. Madagascar, elle, semblait " bien partie ".

Le régime Tsiranana ne s’en est pas moins effondré du jour au lendemain, en 1972. En janvier, le président avait été réélu à une large majorité. En avril, une " révolte étudiante ", calquée sur les événements de 1968 en France, bloque les universités et les lycées. En mai, des émeutes ravagent les villes. Tsiranana remet ses pouvoirs à l’armée, qui s’empresse d’instituer un régime " progressiste " : parti unique, nationalisation de la terre et des industries, substitution du malgache au français, alignement sur les pays de l’Est. Les deux tiers des résidents français quittent alors le pays.

Ces événements s’inscrivent, à première vue, dans la " vague révolutionnaire " qui balaie alors la zone afro-asiatique. Des régimes marxistes ou marxisants sont mis en place de l’Indochine aux anciennes colonies portugaises d’Afrique australe, et de la Libye aux Seychelles en passant par Aden ou l’Ethiopie. Mais sous ce schéma simple, la réalité est plus complexe. Derrière la Révolution malgache, il y a une Restauration.

Avant la colonisation, Madagascar était dominée par les Mérinas, d’origine austronésienne, qui avaient créé dans les hauts-plateaux des Etats monarchiques centralisés. Les Français, eux, avaient favorisé les populations côtières, plus frustres, issues de métissages entre Austronésiens, Africains, Arabes et même Européens. En 1947, les Mérinas avaient tenté de reprendre le pouvoir à travers une insurrection armée : la France avait rétabli l’ordre en s’appuyant sur les Côtiers, dont Tsiranana allait bientôt devenir le principal dirigeant. Et la République indépendante n’avait fait, dans une large mesure, que pérenniser cette alliance. Pour les Mérinas, c’était là une situation " contre nature ". La révolution " progressiste " et militaire de 1972 leur permet en fait d’y mettre fin : ils sont en effet majoritaires dans les forces armées.

La IIe République – dont un capitaine de frégate formé à Brest, vite promu amiral, Didier Ratsiraka, prend la tête en 1975 – ruine le pays. Le PNB régresse de 10 % en dix ans ; comme la population continue à croître fortement (elle atteint aujourd’hui 15 millions d’habitants, trois fois plus qu’au moment de l’indépendance), le revenu par habitant ne fait que s’affaisser (moins de 250 dollars en 2001, selon la Banque mondiale). Dès 1980, Madagascar est devenu importatrice de riz et d’autres produits agricoles de base. L’industrie ne tourne plus qu’à 30 % de sa capacité. Fin 1981, on frôle la cessation de paiements.

Ratsiraka fait alors preuve de réalisme, en acceptant la tutelle du FMI et son corollaire, une libéralisation partielle de l’économie. Il se rapproche de la France et de la Communauté européenne. La désagrégation de l’Empire soviétique, à partir de 1989, l’amène en outre à démarxiser son régime. En 1991, après plusieurs mois d’émeutes qui apparaissent comme la réplique exacte des événements de 1972, il instaure la IIIe République : multipartisme, liberté de la presse. Une " transition " habilement gérée, qui lui permet de garder l’essentiel du pouvoir. Mais le dictateur estime que le nouveau système ne peut fonctionner, à terme, qu’en s’ouvrant à toutes les ethnies. Une sorte de renversement se produit donc tout au long des années quatre-vingt-dix : Ratsiraka s’appuie de plus en plus sur des Côtiers, notamemment à partir de 1997, tandis que la bourgeoisie mérina – devenue classe dirigeante économique à la faveur du régime hybride des années quatre-vingt – passe peu à peu à l’opposition.

Marc Ravalomanana, l’homme qui bat Ratsiraka de peu aux présidentielles de 2001,  incarne bien cette situation. Issu de la région d’Antananarivo – le cœur du pays mérina -, il a fait fortune en montant une industrie locale du yaourt, puis en créant un empire allant de l’agroalimentaire aux médias. En 1999, quand il présente sa candidature à la présidence de la République, il reçoit immédiatement l’appui d’une partie de l’ancien Establishment. Pendant la campagne, c’est le soutien des Eglises, catholique mais aussi protestantes, qui est particulièrement visible. Après le scrutin, celui de l’armée n’est pas moins marquant.

Potentiellement, Madagascar est un pays très riche. L’Ile regorge de minerais (charbon, bauxite, fer, chromite) mais aussi de pierres précieuses ou semi-précieuses (rubis, saphir, émeraude, tourmaline, béryl). Elle produit du bois précieux, des fruits et légumes pouvant faire l’objet d’exportations à haute valeur ajoutée (café, mais aussi vanille, poivre, girofle, bananes, litchis, légumes issus de cultures biologiques). Ses ressources halieutiques sont considérables, qu’il s’agisse de la pêche en haute mer ou de l’aquaculture. Son cheptel de zébus, décimé par le socialisme, pourrait être reconstitué. Le coton et le textile, toujours géré par les Français (la CFDT étant devenue Dagris), sont proches de la compétivité internationale. Des activités de service (télécoms, télétraitement) pourraient  se développer, comme c’est le cas à Maurice. Enfin, le tourisme n’est pour l’instant pratiquement pas mis en valeur.

Seule condition : assurer à la fois une véritable démocratisation et la stabilité. L’Union européenne (50 % des échanges extérieurs malgaches) et la France (30 % à elle seule) sont prêtes à apporter leur aide. A Ranavalomanana  de faire ses preuves.

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